Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 3.djvu/396

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 390 —

1674


mais un moment. Ce Port-Royal est une Thébaïde ; c’est le paradis ; c’est un désert où toute la dévotion du christianisme s’est rangée ; c’est une sainteté répandue dans tout ce pays à une lieue à la ronde. Il y a cinq ou six solitaires qu’on ne connoît point, qui vivent comme les pénitents de saint Jean Climaque[1]. Les religieuses sont des anges sur terre[2]. Mlle de Vertus[3] y achève sa vie avec une résignation extrême et des douleurs inconcevables : elle ne sera pas en vie dans un mois. Tout ce qui les sert, jusqu’aux charretiers, aux bergers, aux ouvriers, tout est saint, tout est modeste. Je vous avoue que j’ai été ravie de voir cette divine solitude, dont j’avois tant ouï parler ; c’est un vallon affreux, tout propre à faire son salut[4]. Je revins coucher au Mesnil, et hier nous revînmes ici, après avoir encore embrassé M. d’Andilly en passant. Je crois que je dînerai demain chez M. de Pompone ; ce ne sera

  1. 7. Arnauld d’Andilly avait publié en 1661 l'Échelle sainte ou les degrés pour monter au ciel, composés par saint Jean Climaque, et traduits du grec en françois (une première version, revue par le Maître, avait paru en 1652 et en 1654) ; il y avait joint une vie nouvelle du solitaire, et une justification particulière de la vérité de l’histoire rapportée dans le cinquième degré de l’échelle sainte touchant le monastère des pénitents. « Tout ce qu’on pourrait extraire de profond, de fin et de délicieux du saint Jean Climaque, nous mènerait trop loin : c’est d’un ascétisme charmant, qui n’a de comparable que l’Imitation chez les modernes. En traduisant avec tant de grâce et de clarté cet excellent maître du cœur, d’Andilly dut aller à bien des âmes de son temps. Tout ce monde de M. de la Rochefoucauld, de Mme de Sablé, de Mme de la Fayette, dut en être particulièrement frappé, et admirer comment l’antique abbé du Sinaï en savait au moins aussi long qu’eux-mêmes sur les vertus, sur les passions, sur les replis et les ruses de l’amour de soi. » (M. Sainte-Beuve, Port-Royal, tome II, p. 282.)
  2. 8. Dans le manuscrit : « Les religieuses, des anges sur terre. » Cette tournure elliptique pourrait bien être le vrai texte.
  3. 9. Voyez la lettre du 20 juin 1672, p. 113, note 3.
  4. 10. Dans l’édition de 1754 : « Tout propre à inspirer le goût de faire son salut. »