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Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 4.djvu/103

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1675
ques jours chez le cardinal de Bouillon, me pria hier de dîner avec eux deux, pour parler de leur affliction. Mme de la Fayette y étoit. Nous fîmes bien précisément ce que nous avions résolu : les yeux ne nous séchèrent pas. Elle avoit un portrait divinement bien fait de ce héros, et tout son train étoit arrivé à onze heures[1] : tous ces pauvres gens étoient fondus en larmes, et déjà tous habillés de deuil. Il vint trois gentilshommes qui pensèrent mourir de voir ce portrait : c’étoient des cris qui faisoient fendre le cœur ; ils ne pouvoient prononcer une parole ; ses valets de chambre, ses laquais, ses pages, ses trompettes, tout étoit fondu en larmes, et faisoit fondre les autres. Le premier qui put prononcer une parole répondit à nos tristes questions : nous nous fîmes raconter sa mort. Il vouloit se confesser le soir, et en se cachotant il avoit donné les ordres pour le soir, et devoit communier le lendemain, qui étoit le dimanche. Il croyoit donner la bataille, et monta à cheval à deux heures le samedi, après avoir mangé. Il avoit bien des gens avec lui : il les laissa tous à trente pas de la hauteur où il vouloit aller. Il dit au petit d’Elbeuf « Mon neveu, demeurez là, vous ne faites que tourner autour de moi, vous me feriez reconnoître. » Il trouva M. d’Hamilton[2] près de l’endroit où il alloit, qui lui dit : « Monsieur, venez par ici ; on tirera où vous allez. — Monsieur, lui dit-il, je m’y en vais : je ne veux point du tout être tué aujourd’hui ; cela sera le mieux du monde. » Il tournoit son cheval, il aperçut Saint-Hilaire, qui lui dit le chapeau à la main : « Jetez les yeux sur cette batterie que

    on lit à la ligne suivante comte au lieu de cardinal. Il n’y avait sans doute dans l’original que la première lettre du mot.

  1. « Mme d’Elbeuf avoit un portrait.… de ce héros, dont tout le train étoit arrivé, etc. » (Édition de 1754.)
  2. Voyez la lettre du 1er juillet 1676.