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1675 minué l’appréhension. Elle rend tristes les gens qui la rejettent et qui ne la prennent pas souvent. En moi elle fait tout autre chose elle me fait suivre le précepte de Salomon bien vivre et se réjouir [1] et d’autant plus que cela fait vivre plus longtemps. Ainsi c’est à force d’aimer la vie que je ne crains pas la mort. Il est certain que si je vous voyois souvent, Madame, je vous ferois entendre raison là-dessus. Mais en attendant que cela se puisse, je veux souvent traiter par lettre cette matière avec vous. Et ne vous allez pas mettre dans la tête que c’est votre seul intérêt qui m’oblige à entreprendre votre cure, c’est le mien aussi; et je crois, moi qui aime la joie, que je mourrois si vous étiez morte, ne sachant avec qui rire finement.

Je comprends bien que votre voyagé a été agréable vous avez presque marqué chaque gîte par la vue d’un honnête exilé. Il falloit encore que vous trouvassiez d’Olonne [2] à Orléans, et l’abbé de Belesbat [3] à Blois, et moi à Amboise. Vous avez trouvé la véritable raison pourquoi j’ai plus de patience que l’abbé d’Effiat et Vineuil. Le chagrin qu’ils ont de passer leur vie hors du monde les fait malades; et moi qui ai passé par la prison je suis trop heureux de n’être plus qu’exilé. Je me porte si bien que j’espère de vivre plus longtemps que mes plus jeunes

  1. C’est une allusion à ce passage du livre de l’Ecclésiaste (chap. III, verset 12) : Et cognovi quod non esset melius nisi lætari et facere bene in vita sua.
  2. Voyez tome II, p. 77, note 19. - Le comte d’Olonne avait d’abord été relégué à Orléans il eut ensuite permission de se retirer dans sa terre de Montmirel, près de Villers-Coterets.
  3. Paul Hurault de l’Hospital, abbé de Belesbat (dans notre copie autographe le nom est écrit Bel Ébat), descendait du chancelier de l’Hospital. Il était frère de Mme de Choisy, la mère du célèbre abbé. C’était un des exilés de la Loire (voyez ci-dessus, p. 167, note 7). Il mourut le 7 mars 1691.