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1675du Plessis Praslin, et j’ajoute le connétable Wrangel[1], tout cela, dis-je, est admirable ; et il n’y a qu’une chose qui me déplaît, c’est que vous me mettez en état que je n’en saurois rien dire, si je n’en dis moins. Je m’en tiens donc à ce que vous avez dit en l’honneur de sa mémoire ; mais j’ajouterai seulement que cette mémoire n’est rien, et que le mépris qu’on a pour celle du comte d’Harcourt et l’estime qu’on a pour celle de M. de Turenne, ne leur font à présent ni bien ni mal ; et je conclus qu’il ne sert de rien d’être un héros que pour la gloire qu’on en a pendant sa vie[2].

Vous avez raison, Madame, de compter pour un bonheur à M. de Turenne de n’avoir pas senti la mort[3]. Cependant il n’y a que deux sortes de gens à qui la mort imprévue soit la meilleure : les saints et les athées. Véritablement M. de Turenne n’étoit pas de ces derniers, mais aussi n’étoit-il pas un saint. Je doute fort que la gloire du monde, pour qui il avoit une si violente passion, soit un sentiment qui sauve les chrétiens[4].

Je vous écrivis amplement le 6e de ce mois sur les huit maréchaux[5] : je n’ai rien à vous en dire davantage,

  1. Charles-Gustave Wrangel, maréchal général et connétable de Suède, mort dans cette charge en 1676. Il brûla les vaisseaux de l’amiral de Danemark en 1644, défit près d’Augsbourg les Impériaux et les Bavarois en 1648, et l’escadre hollandaise au passage du Sund en 1658 ; mais la fortune l’abandonna en 1675 : il éprouva des revers considérables dans la guerre que le roi de Suède avait déclarée à l’électeur de Brandebourg, et la Suède perdit la Poméranie, qu’elle ne recouvra que par le traité de Nimègue. (Note de l’édition de 1818.)
  2. La fin du paragraphe, depuis : « mais j’ajouterai, » manque dans le manuscrit de l’Institut.
  3. « Vous avez raison de croire M. de Turenne heureux pour n’avoir pas, etc. » (Manuscrit de l’Institut.)
  4. « Un sentiment qui contribue au salut. » (Ibidem.)
  5. Voyez ci-dessus, p. 8.