Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 5.djvu/328

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1677 démission pure et simple, et se remet à la discrétion du Roi pour la récompense de sa charge. S’il avoit fait cela il y a seulement dix ans, il auroit fait le profit que vous voulez faire avec Mme  Frémyot[1] ; il auroit gagné l’intérêt de cent mille écus au moins, qui se seroit monté à cinquante mille ; il se seroit épargné les chagrins d’une longue prison, après un long exil, et il ne se seroit pas distingué, comme il a fait, par une longue folie ; mais enfin le voilà hors d’affaire : nous ne savons pas encore ce que le Roi aura fait pour lui.

    château de Loches, au pain du Roi comme un criminel, et arrêta tout son petit revenu pour le forcer à recevoir l’argent de M. de Noailles et par conséquent à lui donner sa démission. Elle se trompa ; M. de Chandenier vécut du pain du Roi et de ce que, à tour de rôle, les bourgeois de Loches lui envoyoient à dîner et à souper dans une petite écuelle qui faisoit le tour de la ville. Jamais il ne se plaignit, jamais il ne demanda ni son bien ni sa liberté ; près de deux ans se passèrent ainsi. À la fin, la cour, honteuse d’une violence tellement sans exemple et si peu méritée, plus encore d’être vaincue par ce courage qui ne se pouvoit dompter, relâcha ses revenus et changea sa prison en exil, où il a été bien des années, et toujours sans daigner rien demander. Il en arriva comme de sa prison, la honte fit révoquer l’exil… Il revint à Paris… à Sainte-Geneviève, dans la plus simple mais la plus jolie retraite. où il mourut (le 14 août 1696, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans). C’étoit un homme de beaucoup de goût et d’excellente compagnie, et qui avoit beaucoup vu et lu ; il fut longtemps avant sa mort dans une grande piété. On s’en servit dans la dernière année de sa vie pour lui faire un juste scrupule sur ses créanciers, qu’il ne tenoit qu’à lui de payer de l’argent de M. de Noailles en donnant sa démission, et quand on l’eut enfin vaincu sur cet article avec une extrême peine, les mêmes gens de bien entreprirent de lui faire voir M. de Noailles, qui avoit sa charge après son père. L’effort de la religion le soumit encore à recevoir cette visite, qui de sa part se passa froidement, mais honnêtement ; il avoit perdu sa femme, et son fils depuis un grand nombre d’années, qui étoit un jeune homme d’une grande espérance. » (Saint-Simon, tome I, p. 347 et suivantes.)

  1. 11. « Que vous voulez faire en traitant avec Mme  Frémyot. » (Manuscrit de la Bibliothèque impériale.)