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1680

794. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 29e mars.

Vous aviez bien raison de dire que j’entendrois parler de la vie que vous feriez en l’absence de M. de Grignan et de ses filles : cette vie est tout extraordinaire ; vous vous êtes jetée dans un couvent. Vous savez qu’on ne se jette point à Sainte-Marie : c’est aux Carmélites qu’on se jette. Vous vous êtes donc jetée dans un couvent, vous avez couché dans une cellule ; je suppose que vous avez mangé de la viande, quoique vous ayez mangé au réfectoire : le médecin qui vous conduit ne vous auroit pas laissé faire une folie. Vous avez très-habilement évité les récréations. Vous ne me dites rien de la petite d’Adhémar : ne lui avez-vous pas permis d’être dans un petit coin à vous regarder ? La pauvre enfant ! elle étoit bien heureuse de profiter de cette retraite[1].

J’étois avant-hier tout au beau milieu de la cour ; Mme de Chaulnes enfin m’y mena. Je vis Madame la Dauphine, dont la laideur n’est point du tout choquante, ni désagréable ; son visage lui sied mal, mais son esprit lui sied parfaitement bien : elle ne fait pas une action, elle ne dit pas une parole qu’on ne voie qu’elle en a beaucoup[2] ; elle a les yeux vifs et pénétrants ; elle entend et comprend facilement toutes choses ; elle est naturelle, et non plus embarrassée ni étonnée que si elle étoit née au milieu du Louvre. Elle a une extrême reconnoissance pour

  1. Lettre 794 (revue en très-grande partie sur une ancienne copie). — i. Voyez la Notice, p. 225 et suivantes.
  2. 2. Dans l’édition de 1754, la seule de Perrin qui-donne cette lettre : « …lui sied parfaitement : elle ne fait et ne dit rien qu’on ne voie qu’elle en a beaucoup. »