Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 6.djvu/350

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1680 tinuel ; mais, Dieu merci, elle a des temps qu’elle ne s’en sent pas, et cela persuade qu’avec un peu de persévérance à faire ce qu’on lui ordonne, elle apaiseroit ce sang qu’on accuse de tous ces maux. Elle vous a écrit : ah ! puisque vous l’aimez, priez-la de ne vous plus écrire de sa main : c’est l’écriture qui la tue, mais visiblement. Qu’elle vous fasse écrire par Montgobert ; j’ai obtenu d’elle qu’elle n’écrit qu’une seule page, et le reste d’une autre main. Je reviens donc à vous assurer que je comprends vos peines mieux que tout le reste du monde.

M. de la Rochefoucauld est mort, comme vous le savez ; cette perte est fort regrettée ; j’ai une amie qui ne peut jamais s’en consoler ; vous l’aviez aimé, vous pouvez imaginer quelle douceur et quel agrément pour un commerce rempli de toute l’amitié et de toute la confiance possible entre deux personnes dont le mérite n’est pas commun ; ajoutez-y la circonstance de leur mauvaise santé, qui les rendoît comme nécessaires l’un à l’autre, et qui leur donnoit un loisir de goûter leurs bonnes qualités, qui ne se rencontre point dans les autres liaisons. Il me paroît qu’à la cour on n’a pas le loisir de s’aimer : le tourbillon, qui est si violent pour tous, étoit paisible pour eux, et donnoit un grand espace au plaisir d’un commerce si délicieux. Je crois que nulle passion ne peut surpasser la force d’une telle liaison ; il étoit impossible d’avoir été si souvent avec lui sans l’aimer beaucoup, de sorte que je l’ai regretté et par rapport à moi, et par rapport à cette pauvre Mme  de la Fayette, qui seroit décriée sur l’amitié et sur la reconnoissance, si elle étoit moins affligée qu’elle ne l’est. Il est vrai qu’il n’a pas joui longtemps de la fortune et des biens répandus depuis peu dans sa maison ; il le prévoyoit bien et m’en a parlé plusieurs fois : rien n’échappoit à la sagesse de ses ré-