Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 6.djvu/383

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votre lettre ; c’est que vous avez si bien tourné ma 1680 pensée, que je prends plaisir à la répéter. J’espère au moins que les mers mettront des bornes à nos fureurs, et qu’après avoir bien tiré chacune de notre côté, nous ferons autant de pas pour nous rapprocher, que nous en faisions[1] pour être aux deux bouts de la terre. Il est vrai que pour deux personnes qui se cherchent, et qui se souhaitent toujours, je n’ai jamais vu une pareille destinée : qui m’ôteroit la vue de la Providence, m’ôteroit mon unique bien ; et si je croyois qu’il fût en nous de ranger, de déranger, de faire, de ne faire pas, de vouloir une chose ou une autre, je ne penserois pas à trouver un moment de repos : il me faut l’auteur de l’univers pour raison de tout ce qui arrive. Quand c’est à lui qu’il faut m’en prendre, je ne m’en prends plus à personne, et je me soumets : ce n’est pourtant pas sans douleur ni sans tristesse[2] ; mon cœur en est blessé, mais je souffre même ces maux comme étant dans l’ordre de la Providence. Il faut qu’il y ait une Mme  de Sévigné qui aime sa fille plus que toutes les autres mères[3], qu’elle en soit souvent très-éloignée, et que les souffrances les plus sensibles qu’elle ait dans cette vie lui soient causées par cette chère fille. J’espère aussi que cette Providence disposera les choses d’une autre manière, et que nous nous retrouverons, comme nous avons déjà fait. Je dînai l’autre jour avec des gens qui en vérité ont bien de l’esprit, et qui ne m’ôtèrent pas cette opinion.

Au reste, ma chère enfant, n’est-ce point une chose rude[4] que de faire six mois de retraite pour avoir vécu

  1. 2. « Que nous en faisons. » (Édition de 1754.)
  2. 3. « Ni tristesse. » (Ibidem.)
  3. 4. « Qui aime sa fille avec une extrême passion. » (Ibidem.)
  4. 5. « Mais parlons plus communément et disons que c’est une chose rude. » (Ibidem.)