Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 6.djvu/422

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1680 c’est tout ce qu’on peut ménager sur une distance aussi extrême que celle-ci. Vous dites, ma bonne, que je n’en suis point touchée : cela est d’une personne qui est encore plus loin de moi que je ne pensois, qui m’a tout à fait oubliée, qui ne sait plus la mesure de mon attachement, ni la tendresse de mon cœur, qui ne sait plus la sensibilité que j’ai pour elle, ni cette belle foiblesse naturelle et cette disposition aux larmes qui ont été l’objet de la moquerie de votre fermeté et de votre philosophie27. Ma bonne, c’est à moi à me plaindre : je ne suis que trop pénétrée de tout cela ; et avec toute ma belle Providence, que je comprends si bien, je ne laisse pas28 d’être toujours affligée au delà de toute raison de ces arrangements : c’est aux parfaits qu’elle cause cette paix et cette soumission sans murmurer ; mais à moi misérable, hélas ! ma bonne, elle ne m’empêche point d’être troublée et agitée, et occupée du desir de voir bientôt changer l’état où je suis : il y a des pensées sur cela que je ne soutiens pas. Je sens une main qui me serre le cœur : je ne devois point vous laisser partir ; je devois vous emmener avec moi aux Rochers. Ah ! ma bonne, il est vrai, je comprends que je serois fort aise de vous avoir ; votre chère idée ne me quitte pourtant point, mais elle me fait soupirer ; c’est pour ma peine, c’est pour ma pénitence

27. « …de mon cœur, qui ne connoît plus cette foiblesse naturelle, ni cette disposition aux larmes dont votre fermeté et votre philosophie se sont si souvent moquées. » (Édition de 1754.)

28. « Je ne laisse pas d’être toujours affligée de ces arrangements au delà de toute raison. Une paix entière, une soumission sans murmure est le partage des parfaits, tandis que la connoissance de cette Providence et du mauvais usage que j’en fais ne m’est donnée que pour ma peine et pour ma pénitence. Vous dites qu’on veut que Dieu soit l’auteur de tout ce qui arrive ; lisez, lisez ce traité que je vous ai marqué, et vous verrez qu’en effet c’est à Dieu qu’il s’en faut prendre, mais avec respect et résignation. » (Ibidem.)