Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 6.djvu/432

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1680 de si beaux pays. Il y a un mois qu’il pleut tous les jours ; ce sont vos prières qui nous ont attiré cet excès. Que ne laissez-vous un peu faire à la Providence ? tantôt de la pluie, tantôt de la sécheresse, vous n’êtes jamais contents. J’en demande pardon à Dieu ; mais cela fait souvenir de Jupiter dans Lucien, qui est si fatigué des demandes importunes des mortels, qu’il envoie Mercure pour donner ordre à tout, et pour faire tomber en Égypte dix mille muids de grêle, afin de n’en plus entendre parler[1]. Je ne vous obligerai plus de répondre sur cette divine Providence, que j’adore, et que je crois qui fait et ordonne tout : je suis assurée que vous n’oseriez traiter de mystère inconcevable cette opinion, avec votre père Descartes[2] ; ce seroit de croire que Dieu eût fait le monde sans y régler tout ce qui s’y fait qui seroit une chose inconcevable[3], et les gens qui font de si belles restrictions et contradictions dans leurs livres en parlent bien mieux et plus dignement, quand ils ne sont pas contraints ni étranglés par la politique. Ces coupeurs de bourse sont bien aimables dans la conversation ; je ne vous les nommois point, parce qu’il me sembloit que vous deviniez le principal : les autres, c’est l’abbé du Pile et M. du Bois[4], que vous connoissez et qui a bien de l’esprit ;

  1. 3. « De n’en entendre plus parler. » (Édition de 1754.) — Voici comment Perrot d’Àblancourt a traduit le passage de l’Icaroménippe, de Lucien, auquel Mme  de Sévigné fait allusion en substituant l’Égypte à la Cappadoce : « Ensuite il (Jupiter) alla ordonner des vents et des saisons… Il fit tomber dix mille muids de grêle en Cappadoce, pleuvoir en Scythie, neiger en Grèce, tonner en Libye ; et cela exécuté que bien que mal, il s’achemina vers la salle du festin, parce qu’il étoit temps de souper. »
  2. 4. « Avec les disciples de votre père Descartes. » (Éditions de 1737 et de 1754.)
  3. 5. « Ce qui seroit vraiment inconcevable, ce seroit que Dieu eût fait le monde sans régler tout ce qui s’y fait. » (Édition de 1754.)
  4. 6. Voyez tome V, p. 111, note 7, et la lettre du 29 janvier 1690.