Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 7.djvu/335

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1684 tion ; tout est renversé dans ma tête, je ne sais plus où j’en suis.

Douze mille francs du Roi eussent été fort bons pour passer l’hiver avec vous ; mais ce placet auroit reçu quelque difficulté : il a fallu trouver sur soi cette partie casuelle, et c’est ce qui se fait en mangeant ici une partie de ce que me doit mon fils, et en réservant tout mon revenu pour le payement de mes dettes : ce sommeil m’étoit d’autant plus nécessaire que je n’avois pas d’autre ressource ; mais il en coûte cher à mon cœur, et plus cher que je ne puis vous le dire.

Jamais rien n’a été si plaisant que ce que vous me dites de cette grande beauté qui doit paroître à Versailles, toute fraîche, toute pure, toute naturelle, et qui doit effacer toutes les autres beautés. Je vous assure que j’étois curieuse de son nom, et que je m’attendois à quelque nouvelle beauté arrivée et menée à la cour : je trouve tout d’un coup que c’est une rivière[1]qui est détournée

  1. Lettre 944. — 1. La rivière d’Eure, dont une partie fut prise environ à dix lieues au delà de Chartres (à Pontgoin), pour la faire passer à travers les terres par un aqueduc à Maintenon, et de là être conduite à Versailles. Ce fut la guerre de 1688 qui, jointe aux maladies causées par le remuement des terres, fit discontinuer les travaux du camp de Maintenon. Cet ouvrage interrompu fut abandonné dans la suite. (Note de Perrin.) — On voit dans le Journal de Dangeau (8 juin 1685) que l’aqueduc de Maintenon devait avoir plus de seize cents arcades, dont quelques-unes devaient être deux fois plus élevées que les tours de Notre-Dame de Paris. — On lit aussi dans Saint-Simon (tome XII, p. 469) : « M. de Louvois… imagina de détourner la rivière d’Eure, entre Chartres et Maintenon, et de la faire venir tout entière à Versailles. Qui pourra dire l’or et les hommes que la tentative obstinée en coûta pendant plusieurs années, jusque-là qu’il fut défendu, sous les plus grandes peines, dans le camp qu’on y avoit établi et qu’on y tint très-longtemps, d’y parler des malades, surtout des morts, que le rude travail et encore plus l’exhalaison de tant de terres remuées tuoient ?… Et toutefois non-seulement les officiers particuliers, mais les colonels,