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1685

961. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Rennes, dimanche 29e avril.

Nous serons si sots, que nous prendrons la Rochelle[1] : je serai assez malheureuse, ma chère enfant, pour me laisser guérir par les capucins. J’ai aimé, j’ai admiré tous vos sentiments ; je disois tout comme vous : si ma jambe est guérie après tant de maux et de chagrins, Dieu soit loué ! si elle ne l’est pas, et qu’elle me force d’aller chercher du secours à Paris, et d’y voir ma chère et mon aimable fille, Dieu soit béni ! Je regardois ainsi avec tranquillité ce qu’ordonneroit la Providence, et mon cœur choisissoit la continuation d’un mal qui me redonnoit à vous trois mois plus tôt ; car vous jugez bien que pour ne pas suivre cette pente, il faut que la raison fasse de grands efforts. Je me fusse servie des généreuses offres de Mme de Marbeuf, qui sont aussi sincères qu’elles sont solides, et je m’en servirois encore sans balancer, si ma jambe, comme par malice, ne se guérissoit à vue d’œil : vous savez ce que c’est aussi que de se charger de rendre ce qu’on prend si agréablement. Ainsi je vais aux Rochers observer la contenance de cette jambe, qui est présentement sans aucune plaie ni enflure ; elle est tout amollie, et pour la figure elle est entièrement comme sa compagne, qui depuis près de six mois étoit sans pareille. La couleur n’est pas agréable, la lessive ne la blanchit pas, ni l’eau d’arquebusade ; il y a encore quelques marques de fructus belli[2], qui dureront longtemps, mais ce n’est que les places des feux qui sont

  1. Lettre 961. — 1. Voyez tome IV, p. 293, note 8, et ci-dessus, p. 228.
  2. 2. « Fruit de la guerre. »