Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 7.djvu/513

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1686 moi qui m’étois sentie autrefois affoiblie, sans savoir pourquoi, d’une saignée qu’on vous avoit faite le matin[1], je suis encore persuadée que si on vouloit s’entendre dans les familles, le plus aisé à saigner sauveroit la vie aux autres, et à moi, par exemple, la crainte d’être estropiée.

Mais laissons le sang[2] de Rabutin en repos, puisque je suis en parfaite santé. Je ne vous puis dire combien j’estime et combien j’admire votre bon et heureux tempérament. Quelle sottise de ne point suivre les temps, et de ne pas jouir avec reconnoissance des consolations que Dieu nous envoie après les afflictions qu’il veut quelquefois nous faire sentir ! La sagesse est grande, ce me semble, de souffrir la tempête avec résignation, et de jouir du calme quand il lui plaît de nous le redonner : c’est suivre l’ordre de la Providence. La vie est trop courte pour s’arrêter si longtemps sur le même sentiment ; il faut prendre le temps comme il vient, et je sens que je suis de cet heureux tempérament ; e me ne pregio[3], comme disent les Italiens. Jouissons, mon cher cousin, de ce beau sang qui circule si doucement et si agréablement dans nos veines. Tous vos plaisirs, vos amusements, vos tromperies, vos lettres et vos vers, m’ont donné une véritable joie, et surtout ce que vous écrivez pour défendre Benserade et la Fontaine, contre ce vilain factum. Je l’avois déjà fait en basse note à tous ceux qui vouloient louer cette noire satire. Je trouve que l’auteur fait voir clairement qu’il n’est ni du monde, ni de la cour, et que son goût est d’une pédanterie qu’on ne peut pas même espérer de corriger. Il y a de certaines choses qu’on n’entend jamais, quand on ne les entend pas d’abord : on ne fait

  1. 2. Voyez tome I, p. 511.
  2. 3. Dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale : « ce sang. »
  3. 4. « Et je m’en estime. »