Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 9.djvu/109

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vous me parlerez de Pauline et de Monsieur le chevalier. J’embrasse ce Comte, qu’on aime trop.

DE LA JEUNE MARQUISE DE SÉVIGNÉ.

VRAIMENT, ma chère sœur, je sais bien qu’en dire, oui, assurément, on l’aime trop[1] Je n’oserois vous dire que j’aime aussi beaucoup son fils : cette confusion[2] seroit trop grande; je veux seulement le prier de ne me plus appeler sa tante ; je suis si petite et si délicate, que je ne suis tout au plus que sa cousine. La santé de Mme de Sévigné n’est point du tout comme moi, elle est grande et forte ; j’en prends un soin qui vous feroit jalouse . Je vous avoue pourtant que c’est sans aucune contrainte : je la laisse aller dans les bois avec ellẽ-même et des livres ; elle s’y jette naturellement, comme la belette dans la gueule du crapaud. Pour moi, avec le même goût et la même liberté, je demeure dans le parterre, al dispetto[3]22 de la complaisance, que nous ôtons du nombre des vertus dès qu’on la peut nommer par son nom et que ce n’est pas notre choix. Vous me ravissez, ma chère sœur, de me dire que Mme de Sévigné m’aime ; j’ai le goût assez bon pour connoitre le prix de son amitié, et pour l’aimer aussi de tout mon coeur. Nous avons pris part à votre triomphe et à vos grandeurs, mais je ne voudrois pas que M. de Sévigné les vît : cela le dégoûteroit de sa vie tranquille[4], dont il n’est tiré que par un mauvais tourbillon de province qui nous coûtera cinq cents pistoles. Pour m’en consoler, souffrez que je

  1. 20. La prétendue passion de Mme de Sévigné, belle-fille, pour M. de Grignan, qu’elle n’avoit jamais vu, donnoit lieu à quelques plaisanteries aussi aimables qu’innocentes. Voyez la lettre du 1» avril précédent, p. 5. (Note de Perrin, 1754.)
  2. 21. « Ma confusion, » (Édition de 1754.)
  3. 22. « En dépit. Dans l’édition de 1737 a dispetto.
  4. 23. « De la vie tranquille. (Édition de 1754.)