1 166. DE MADAME DE SÉVIGNÉ
A MADAME DE GRIGNAN.
A CHAULNES, Ce dimanche 17è Avril.
ME voici à Chaulnes,[1],ma chère fille, et toujours triste de m’éloigner encore de vous. J’attends votre lettre vendredi : quelle tristesse de ne pouvoir plus recevoir réglément de vos nouvelles trois fois la semaine ! c’est justement cela que j’ai sur le cœur, et que j’appelois .ma petite tristesse[2]; vraiment elle n’est pas petite, et je sentirai cette privation. Monsieur le chevalier m’écrivit de Versailles un petit adieu tout plein de tendresse : j’en fus touchée, car il laisse ignorer assez cruellement la part qu’on a dans son estime ; et comme on la souhaite extrêmement, c’est une véritable joie dont il prive ses amis[3]. Je le remerciai de son billet par un autre que je lui écrivis en partant : il me mandoit que votre enfant ne seroit point d’un certain détachement, parce qu’il n’étoit plus question de la chose qu’on avoit dite : cela me soulagea fort le cœur ; et comme il vous l’aura mandé, vous aurez respiré comme moi. Je ne comprends que trop toutes vos peines elles retournent sur moi, de sorte que je les sens de deux côtés.
Je partis donc jeudi, ma chère Comtesse, avec Mme de
- ↑ LETTRE 1166.-- 1. Cette première phrase ne se trouve que dans l’édition de 1737, qui n’a pas la suivante et reprend : « Le chevalier m’écrivit, etc.» -- « Chaulnes, en Picardie, entre Roye et Péronne ; le château a été presque entièrement abattu depuis la Résolution ; on n’a conservé que deux pavillons. Le parc avait déjà été coupé il y a à peu près vingt ans. Il était remarquable par d’immenses charmilles, disposées de façon à imiter les différents ordres d’architecture. (Note de l’édition de 1818.)
- ↑ 2. Voyez ci-dessus, p. 1 et 14
- ↑ 3. Toute la fin de ll’alinéa, à partir d’ici, manque encore dans le texte de 1737.