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1690

1248. DE MADAME DE SÉVIGNÉ

A MADAME DE GRIGNANW.

Aux Rochers, ce dimanche 1er de l’an.

Je n’ai point encore reçu le paquet du samedi 17è, qui répondoit à celui du 7è : je sais très-bien mon compte, et l’on ne sauroit me tromper sans me faire un grand tort et un véritable chagrin : car c’est la suite d’une conversation que l’on interrompt. J’espère que cette lettre me reviendra, cela arrive souvent : en attendant, j’ai beaucoup à répondre sur l’histoire tragique et surprenante que vous me contez du pauvre Lausier[1]. Votre récit a toute la force de la rhétorique, il suspend l’attention, il augmente la curiosité, et conduit à un événement si triste et si surprenant, que j’en fus tout émue et fis un tri qui fit peur à mon fils. Il vint voir ce que j’avois à crier ; il lut cet endroit ; il fut conduit, comme moi, par les sentiments qu’il inspire, et se mit[2]2 à crier comme j’avois fait, et même un peu plus ; car il connoissoit fort ce brave et honnête homme, et nous admirâmes ce que c’est que l’incertitude de l’heure et de la manière de notre mort. Toutes les circonstances de celle-ci conduisent à un étonnement particulier : ces périls continuels [3] où il

  1. LETTRE 1248. -- 1. Lausier ou Lauzier était brigadier d’infanterie, gouverneur de Nîmes. L'Etat de la France de 1689 ajoute à ce titre celui de « commandant à Mayence. » On voit dans le Journal de Dangeau (10 août 1689) que, pendant le siège de Mayence, il pénétra dans la ville déguisé en fourrageur. Le même Journal (22 décembre) contient l’annonce de sa mort. Peut-être ce Lausier était-il un des frères de celui qui était capitaine des gardes du comte de Grignan lors du siège d’Orange : voyez Walckenaer, tome V, p. 44 et 401. D’après la lettre suivante, p. 387, on peut croire qu’il était frère aussi du doyen de la collégiale de Grignan.
  2. 2. ll lut cet endroit de votre lettre; il fut touché des mêmes sentiments que moi, et se mit, etc. » (Edition de 1754.)
  3. 3. « Ces périls renaissants. » (Ibidem. )