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Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/116

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beaucoup mieux que tout cela, c’est de penser à vous, ma fille ; je n’ai pas encore cessé depuis que je suis arrivée, et, ne pouvant contenir tous mes sentiments, je me suis mise à vous écrire au bout de cette petite allée sombre que vous aimez, assise sur ce siège de mousse où je vous ai vue quelquefois couchée. Mais, mon Dieu, où ne vous ai-je point vue ici ? et de quelle façon toutes ces pensées me traversent-elles le cœur ! Il n’y a point d’endroit, point de lieu, ni dans la maison, ni dans l’église, ni dans le pa} 7 s, ni dans le jardin, où je ne vous aie vue ; il n’y en a point qui ne me fasse souvenir de quelque chose ; de quelque manière que ce soit, cela me perce le cœur : je vous vois, vous m’êtes présente ; je pense et repense à tout ; ma tête et mon esprit se creusent : mais j’ai beau tourner, j’ai beau chercher ; cette chère enfant que j’aime avec tant de passion est à deux cents lieues de moi, je ne l’ai plus. Sur cela je pleure sans pouvoir m’en empêcher. Ma chère bonne, voilà qui est bien faible : mais pour moi, je ne sais point être forte contre une tendresse si juste et si naturelle. Je ne sais en quelle disposition vous serez en lisant cette lettre ; le hasard fera qu’elle viendra mal à propos, et qu’elle ne sera peut-être pas lue de la manière qu’elle est écrite. À cela je ne sais point de remède : elle sert toujours à me soulager présentement ; c’est au moins ce que je lui demande : l’état où ce lieu m’a mise est une chose incroyable. Je vous prie de ne point parler de mes faiblesses ; mais vous devez les aimer, et respecter mes larmes, puisqu’elles viennent d’un cœur tout à vous.


39. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi saint 27 mars 1671.

J’ai trouvélci un gros paquet de vos lettres ; je ferai réponse aux messieurs quand je ne serai pas si dévote : en attendant, embrassez votre cher mari pour moi ; je suis touchée de son amitié et de sa lettre. Je suis bien aise de savoir que le pont d’Avignon est encore sur le dos du coadjuteur ; c’est donc lui qui vous y a fait passer, car, powr le pauvre Grignan, il se noyait par dépit contre vous ; il aimait autant mourir que d’être avec des gens si déraisonnables : le coadjuteur est perdu d’avoir ce crime avec tant d’autres. Je suis très-obligée à Bandol de m’avoir fait une si agréable relation. Mais d’où vient, mon enfant, que vous craignez qu’une autre lettre