Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/149

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la violence des passions, la grandeur des événements et le succès miraculeux de leurs redoutables épées, tout cela m’entraîne comme une petite fille ; j’entre dans leurs desseins : et si je n’avais M. de la Rochefoucauld et M. d’Hacqueville pour me consoler, je me pendrais de trouver encore en moi cette faiblesse. Vous m’apparaissez pour me faire honte ; mais je me dis de mauvaises raisons, et je continue. J’aurai bien de l’honneur au soin que vous me donnez de vous conserver l’amitié de l’abbé ! Il vous aime chèrement : nous parlons très-souvent de vous, de vos affaires et de vos grandeurs ; il voudrait bien ne pas mourir avant que d’avoir été en Provence, et de vous avoir rendu quelque service. On me mande que la pauvre madame de Montlouet est sur Je point de perdre l’esprit : elle a extravagué jusqu’à présent sans jeter une larme ; elle a une grosse fièvre, et commence à pleurer ; elle dit qu’elle veut être damnée, puisque son mari doit l’être assurément. Nous continuons notre chapelle ; il fait chaud ; les soirées et les matinées sont très-belles dans ces bois et devant cette porte ; mon appartement est frais ; j’ai bien peur que vous ne vous accommodiez pas si bien de vos chaleurs de Provence. Je suis toujours tout à vous, ma très-chère et très -aimable : une amitié à monsieur de Grignan. Ne vous adore-t-il pas toujours ?


57. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi 15 juillet IC7I.

Si je vous écrivais toutes mes rêveries sur votre sujet, je vous écrirais toujours les plus grandes lettres du monde ; mais cela n’est pas bien aisé : ainsi je me contente de ce qui peut s’écrire, et je rêve tout ce qui peut se rêver : j’en ai le temps et le lieu. La Mousse a une petite fluxion sur les dents, et l’abbé a une petite fluxion sur le genou, qui me laissent le champ libre dans mon mail, pour y faire tout ce qu’il me plaît. Il me plaît de m’y promener le soir jusqu’à huit heures ; mon fils n’y est plus ; cela fait un silence, une tranquillité et une solitude que je ne crois pas qu’il soit aisé de rencontrer ailleurs. Je ne vous dis point à qui je pense, ni avec quelle tendresse ; quand on devine, il n’est pas besoin de parler. Si vous n’étiez point grosse, et que Y hippogryphe fût encore au monde, ce serait une chose galante, et à ne jamais oublier, que d’avoir la hardiesse de monter dessus pour me venir voir quelquefois : ce ne serait pas une affaire ; il parcourait la terre en deux jours ! Vous