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Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/19

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rebutés devenaient de sincères et fidèles amis. « Il n’y a guère que vous dans le royaume, lui écrivait Bussy, qui puissiez réduire un amant à se contenter d’amitié : nous n’en voyons presque point qui, d’amant éconduit, ne devienne ennemi ; et je suis persuadé qu’il faut qu’une femme ait un mérite extraordinaire pour faire en sorte que le dépit d’un amant maltraité ne le porte pas à rompre avec elle. » Bussy avait raison de conclure ainsi.

Madame de Sévigné reparut dans le monde quand elle crut pouvoir le faire sans que l’éducation de ses enfants en souffrît. Elle se fit placer au premier rang parmi les femmes qui ornaient par leur esprit et leur beauté la société d’alors. Le beau temps de l’hôtel de Rambouillet durait encore. On sait qu’elle fut une des dames les plus admirées du cercle fameux que présidait madame de Montausier. Son esprit gagna encore en légèreté et en délicatesse dans le commerce de cette société ingénieuse : elle s’y raffina, sans s’y gâter. Elle laissa aux femmes d’un goût moins pur, d’un jugement moins solide que le sien, les subtilités, les fadeurs, le purisme affecté. On la compta au nombre des précieuses[1] ; mais ce nom était alors synonyme de femme d’esprit. Quand Molière personnifia dans Cathos et Madelon la pruderie, le pédantisme et l’extravagance dont l’hôtel de Rambouillet avait donné les modèles, il eut grand soin de faire une distinction, et d’intituler sa pièce les Précieuses ridicules.

À la suite d’une de ces exhortations par lesquelles le galant et peu scrupuleux Bussy cherchait à ébranler les sages résolutions de sa cousine, on lit cet avertissement : « Nous vous verrons un jour regretter le temps que vous aurez perdu ; nous vous verrons repentir d’avoir mal employé votre jeunesse, et d’avoir voulu avec tant de peine acquérir et conserver une réputation qu’un médisant vous peut ôter, et qui dépend plus de la fortune que de votre conduite. » Il est malheureusement trop vrai que la médisance peut quelquefois détruire ou compromettre les réputations les plus légitimes et les plus solidement établies. Si madame de Sévigné n’éprouva pas par elle-même la vérité de cette observation, ce ne fut pas la faute de Bussy ; car lui-même se chargea d’être ce médisant dont il cherchait à lui faire peur. En 1658, se trouvant dans un pressant besoin d’argent pour faire la campagne de cette année, il s’adressa à madame de Sévigné pour un prêt de dix mille livres. Le service qu’il demandait fut promis sans

  1. Voir le Dictionnaire historique des Précieuses, par le sieur de Somaize.