je la sens en moi : cependant j’entreprends de vous amuser un quart d’heure, et par des choses où vous avez intérêt, et par le récit de ce qui se passé dans le monde.
J’ai eu une grande conversation avec M. le Camus ; il entre si parfaitement bien dans nos sentiments, qu’il me donne des conseils ; il est piqué des conduites malhonnêtes ; et comme il en a de fort contraires, il n’a nulle peine à entrer dans nos vues, où la droiture et la sincérité sont en usage : c’est ce dont il ne faut point se départir, quoi qu’il arrive ; cette mode revient toujours. On ne trompe guère longtemps le monde, et les fourbes sont enfin découverts : j’en suis persuadée. M. de Pomponne n’est pas moins opposé à ce qui lui est si contraire ; et je vous puis assurer que, si j’étais aussi habile sur toutes choses que je le suis pour discourir là-dessus, il ne manquerait rien à ma capacité. Dites-moi quelquefois quelque chose d’agréable pour M. le Camus : ce sont des faveurs précieuses pour lui, et d’autant plus qu’il n’est obligé à aucune réponse.
Le marquis de Villeroi est donc parti pour Lyon comme je vous l’ai mandé ; le roi lui fit dire par le maréchal de Créqui qu’il s’éloignât : on croit que c’est pour quelques discours chez madame la comtesse (de Soissons)-, enfin,
On parle d’eaux, de Tibre et l’on se tait du reste[1].
Le roi demanda à Monsieur, qui revenait de Paris : Eh bien ! mon frère, que dit-on à Paris ? Monsieur lui répondit : On parle fort de ce pauvre marquis.— Et qu’en dit-on ? — On dit, monsieur, que c’est qu’il a voulu parler pour un autre malheureux.-Et quel malheureux, dit le roi ? — Pour le chevalier de Lorraine, dit Monsieur. — Mais, dit le roi, y songez-vous encore à ce chevalier de Lorraine ? vous en souciez-vous ? Aimeriez-vous bien quelqu’un qui vous le rendrait ? — En vérité, répondit Monsieur, ce serait le plus sensible plaisir que je pusse recevoir en ma vie.-Oh bien ! dit le roi, je veux vous faire ce présent ; il y a deux jours que le courrier est parti ; il reviendra ; je vous le redonne, et veux que vous m’ayez toute votre vie cette obligation, et que vous l’aimiez pour l’amour de moi ; je fais plus, car je le fais maréchal de camp dans mon armée. Là-dessus, Monsieur se jette aux pieds du Roi, lui embrasse longtemps les genoux, et lui baise une main avec une joie sans égale Le roi le relève, et lui dit :
- ↑ Vers de Corneille dans Cinna, scène v, acte IV.