Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/21

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été enveloppé dans la disgrâce du surintendant ; il vivait alors dans sa terre, où il subissait une sorte d’exil. Dans toute la correspondance de madame de Sévigné, il est peu de parties qui offrent plus d’émotion et d’éloquence. Tandis qu’elle ne songe qu’à rendre compte de ce qu’elle a vu et de ce qu’elle a senti, elle trace un tableau dramatique et tout vivant de cette grande scène judiciaire ; elle écrit un admirable plaidoyer. Ces lettres, où se déploie toute son imagination et tout son cœur, ont été justement regardées comme un trait de courage. Ce journal qu’elle adressait à M. de Pomponne courait risque d’être intercepté avant de parvenir à sa destination. Dans un temps où la persécution s’étendait sur les amis de Fouquet, il eût été dangereux d’être surpris à le plaindre, à l’admirer, et à faire circuler des réflexions sur le noble sang-froid de l’accusé et l’indécent acharnement des juges. Madame de Sévigné était trop fidèle à l’amitié pour s’arrêter devant ces craintes ; elle eut le courage de ses alarmes et de sa douleur. Par là, le souvenir de son amitié pour Fouquet a mérité d’être associé à celui du noble dévouement que lui témoignèrent Pellisson et la Fontaine. Madame de Sévigné se consolait du chagrin que lui causaient les torts des amis ingrats ou les malheurs des amis fidèles, en voyant sa fille, objet de tant de soins et de tant d’amour, croître chaque jour en beauté, en esprit et en grâces. Elle la présenta dans le monde en 1663, et la vit avec orgueil s’attirer les hommages de tout ce qu’il y avait de distingué à la ville et à la cour. Elle-même conservait encore assez de jeunesse pour que le monde, qu’elle enchantait de plus en plus par son esprit, réservât une part d’éloges à sa beauté. La mère et la fille formaient un couple brillant et unique, qui attirait tous les regards. Les seigneurs à la mode, les poètes de cour, imaginaient pour elles les compliments les plus ingénieux. Benserade composa en leur honneur un de ses plus jolis madrigaux :

Blondins accoutumés à faire des conquêtes,
Devant ce jeune objet si charmant et si doux,
Tout grands héros que vous êtes,

Il ne faut pas laisser pourtant de filer doux.
L’ingrate foule aux pieds Hercule et sa massue[1] :
Quelle que soit l’offrande, elle n’est point reçue ;

  1. Mademoiselle de Sévigné avait rempli le personnage d’Omphale dans un ballet de la cour.