quée dans la vie sans mon consentement ; il faut que j’en sorte, cela m’assomme ; et comment en sortirai-je ? par où ? par quelle porte ? quand sera-ce ? en quelle disposition ? Souffrirai-je mille et mille douleurs, qui me feront mourir désespérée ? aurai-je un transport au cerveau ? mourrai -je d’un accident ? comment serai-je avec Dieu ? qu’aurai-je à lui présenter ? la crainte, la nécessité ferontelles mon retour vers lui ? n’aurai-je aucun autre sentiment que celui de la peur ? que puis-je espérer ? suis-je digne du paradis ? suis-je digne de l’enfer ? Quelle alternative ! quel embarras ! Rien n’est si fou que de mettre son salut dans l’incertitude ; mais rien n’est si naturel, et la sotte vie que je mène est la chose du monde la plus aisée à comprendre : je m’abîme dans ces pensées, et je trouve la mort si terrible, que je hais plus la vie parce qu’elle m’y mène, que par les épines dont elle est semée. Vous me direz que je veux donc vivre éternellement ; point du tout : mais si on m’avait demandé mon avis, j’aurais bien aimé à mourir entre les bras de ma nourrice ; cela m’aurait ôté bien des ennuis, et m’aurait donné le ciel bien sûrement et bien aisément : mais parlons d’autre chose.
Je suis au désespoir que vous ayez eu Bajazet par d’autres que par moi ; c’est ce chien de Barbin[1] qui me hait, parce que je ne fais pas des Princesses de Clèveset de Montpensier[2]. Vous avez jugé très-juste et très-bien de Bajazet, et vous aurez vu que je suis de votre avis. Je voulais vous envoyer la Champmêlé pour vous réchauffer la pièce. Le personnage de Bajazet est glacé ; les mœurs des Turcs y sont mal observées, ils ne font point tant de façons pour se marier ; le dénoûment n’est point bien préparé ; on n’entre point dans les raisons de cette grande tuerie : il y a pourtant des choses agréables, mais rien de parfaitement beau, rien qui enlève, point de ces tirades de Corneille qui font frissonner. Ma fille, gardons-nous bien de lui comparer Racine, sentons-en toujours la différence ; les pièces de ce dernier ont des endroits froids et faibles, et jamais il n’ira plus loin qu’ Andromaque ; Bajazet est au-dessous, au sentiment de bien des gens, et au mien, si j’ose me citer. Racine fait des comédies[3] pour la Champmêlé : ce n’est pas pour les siècles à venir : si jamais il n’est plus jeune, et qu’il cesse