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Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/246

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pour moi, je vous écrirai encore, car, quelque diligence que je fasse, je ne puis quitter encore de quelques jours, mais je ne puis plus recevoir de vos lettres ici.

Vous ne m’avez point écrit le dernier ordinaire ; vous deviez m’en avertir pour m’y préparer : je ne vous puis dire quel chagrin cet oubli m’a donné, ni de quelle longueur m’a paru cette semaine : c’est la première fois que cela vous est arrivé ; j’aime encore mieux en avoir été plus touchée, par n’y pas être accoutumée : j’espère de vos nouvelles dimanche. Adieu donc, ma chère enfant.

On m’a promis une relation, je l’attends : il me semble que le roi continue ses conquêtes. Vous ne m’avez pas dit un mot sur la mort de M. de Longueville, ni sur tout le soin que j’ai eu de vous instruire, ni sur toutes mes lettres ; je parle à une sourde ou à une muette : je vois bien qu’il faut que j’aille à Grignan ; vos soins sont usés, on voit la corde. Adieu donc, jusqu’au revoir. Notre abbé vous fait mille amitiés ; il est adorable du bon courage qu’il a de vouloir venir en Provence.


107. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Livry, dimanche au soir, 3 juillet 1672.

Ah ! ma fille, j’ai bien des excuses à vous faire de la lettre que je vous ai écrite ce matin en partant pour venir ici. Je n’avais point reçu votre lettre ; mon ami de la poste m’avait mandé que je n’en avais point ; j’étais au désespoir. J’ai laissé le soin à madame de la Troche de vous mander toutes les nouvelles, et je suis partie làdessus. Il est dix heures du soir ; et M. de Coulanges, que j’aime comme ma vie, et qui est le plus joli homme du monde, m’envoie votre lettre qui était dans son paquet ; et, pour me donner cette joie, il ne craint point de faire partir son laquais au clair de la lune : il est vrai, mon enfant, qu’il ne s’est point trompé dans l’opinion de m’avoir fait un grand plaisir. Je suis fâchée que vous ayez perdu un de mes paquets ; comme ils sont pleins de nouvelles, cela vous dérange, et vous ôte du train de ce qui se passe.

Vous devez avoir reçu des relations fort exactes ; elles vous auront fait voir que le Rhin était mal défendu : le grand miracle, c’est de l’avoir passé à la nage. M. le Prince et ses Argonautes étaient dans un bateau : les premières troupes qu’ils rencontrèrent au delà demandaient quartier, quand le malheur voulut que M. de Longueville, qui sans doute ne l’entendit pas, s’approche de leurs