Adieu, ma très-aimable, je suis à vous : cette vérité est avec celle de deux et deux font quatre.
115. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.
Me voità toute soulagée de n’avoir plus Orange sur le cœur ; c’était une augmentation par dessus ce que j’ai accoutumé de penser, qui m’importunait. Il n’est plus question maintenant que de la guerre du syndicat : je voudrais qu’elle fût déjà finie. Je crois qu’après avoir gagné votre petite bataille d’Orange, vous n’aurez pas tardé à commencer l’autre. Vous ne sauriez croire la curiosité qu’on avait pour être informé du bon succès de ce beau siège ; on en parlait dans le rang des nouvelles. J’embrasse le vainqueur d’Orange, et je ne lui ferai point d’autre compliment que de l’assurer ici que j’ai une véritable joie que cette petite aventure ait pris un tour aussi heureux ; je désire le même succès à tous ses desseins, etl’embrasse de tout mon cœur. C’est une chose agréable que l’attachement et l’amour de toute la noblesse pour lui : il y a très-peu de gens qui pussent faire voir une si belle suite pour une si légère semonce. M. de la Garde vient de partir pour savoir un peu ce qu’on dit de cette prise d’Orange : il est chargé de toutes nos instructions, et, sur le tout, de son bon esprit, et de son affection pour vous. D’Hacqueville me mande qu’il conseille à M. de Grignan d’écrire au roi : il serait à souhaiter que, par effet de magie, cette lettre fut déjà entre les mains de M. de Pomponne, ou de M. de la Garde ; car je ne crois pas qu’elle puisse venir à propos. L’affaire dû syndic s’est fortifiée dans ma tête par l’absence du siège d’Orange.
Nous soupames encore hier avec madame Scarron et l’abbé Têtu chez madame de Coulanges : nous causâmes fort ; vous n’êtes jamais oubliée. JNous trouvâmes plaisant d’aller ramener madame Scarron à minuit au fin fond du faubourg Saint-Germain, fort au delà de madame de la Fayette, quasi auprès de Vaugirard, dans la campagne ; une belle et grande maison[1] où l’on n’entre point ; il y a un grand jardin, de beaux et grands appartements ; elle a un carrosse, des gens et des chevaux ; elle est habillée modestement et
- ↑ C’est dans cette maison qu’étaient élevés les enfants du roi et de madame de Montespan, dont madame Scarron était gouvernante.