ces, c’est-à-dire sur le bout du doigt : on l’appelle le petit ministre ; elle est dans tous nos intérêts. Il y a des entr’actes à nos conversations, que M. de Pomponne appelle des traits de rhétorique, pour captiver la bienveillance des auditeurs. Il y a des articles dans vos lettres sur lesquels je ne réponds pas : il est ordinaire d’être ridicule, quand on répond de si loin. Vous savez quel déplaisir nous avions de la perte de je ne sais quelle ville, lorsqu’il y avait dix jours qu’à Paris on se réjouissait que le prince d’Orange en eût levé le siège ; c’est le malheur de l’éloignement. Adieu, ma très-aimable : je vous embrasse bien tendrement.
118. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.
Il y a une nouvelle de l’Europe qui m’est entrée dans la tête : je vais vous la mander, contre mon ordinaire. Vous savez la mort du roi de Pologne[1]. Le grand-maréchal[2], mari de mademoiselle d’Arquien[3], est à la tête d’une armée contre les Turcs : il a gagné une bataille si pleine et si entière, qu’il est demeuré quinze mille Turcs sur la place : il a pris deux bassas ; il s’est logé dans la tente du général, et cette victoire est si grande, qu’on ne doute point qu’il ne soit élu roi, d’autant plus qu’il est à la tête d’une armée, et que la fortune est toujours pour les gros bataillons : voilà une nouvelle qui m’a plu.
119. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.
Je commence dès aujourd’hui ma lettre, et je la finirai demain. Je veux d’abord traiter le chapitre de votre voyage de Paris : vous apprendrez par Janet que la Garde est celui qui L’a trouvé le plus nécessaire, et qui a dit qu’il fallait demander votre congé ; peut-être l’a-t-il obtenu, car Janet a vu M. de Pomponne. Mais ce n’est pas, dites-vous, une nécessité de venir ; et le raisonnement que vous me faites est si fort, et vous rendez si peu considérable tout ce qui le paraît aux autres pour vous engager à ce voyage, que pour moi j’en suis
- ↑ Michel Koribut Wiesnovieski, mort le 10 novembre 1673.
- ↑ Jean Sobieski, qui fut depuis élu roi de Pologne le 20 mai 1674.
- ↑ Il avait épousé la petite-fille du maréchal d’Arquien, laquelle, après sa mort, revint en France. La victoire que Sobieski remporta, en 1783, sous les murs de Vienne, et qui sauva l’empereur et l’Empire, est plus célèbre encore que celle dont il s’agit ici.