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Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/325

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un de mes tristes amusements que de penser à la différence des jours de l’année passée et de celle-ci : quelle compagnie les soirs ! quelle joie de vous voir, et de vous rencontrer, et de vous parler à toute heure ! que de retours agréables pour moi ! Rien ne m’échappe de tous ces heureux jours, que les jours mêmes qui sont échappés. Je n’ai pas au moins le déplaisir de n’avoir pas senti mon bonheur ; c’est un reproche que je ne me ferai point ; mais, par cette raison, je sens bien vivement le contraire d’un état si heureux.

Vous ne me dites point si vous avez été assez bien traités dans votre assemblée, pour ne donner au roi que le don ordinaire ; on augmente le nôtre ; je pensai battre le bonhomme Boucherat[1], quand je vis cette augmentation ; je ne crois pas qu’on en puisse payer la moitié. Les états s’ouvriront demain, c’est à Dinan ; tout ce pauvre parlement est malade à Vannes. Rennes est une ville comme déserte ; les punitions et les taxes ont été cruelles ; il y aurait des histoires tragiques à vous conter d’ici à demain. La Marbeuf ne reviendra plus ici ; elle démêle ses affaires pour s’aller établir à Paris. J’avais pensé que mademoiselle de Méri[2] ferait très-bien de louer une maison avec elle ; c’est une femme très-raisonnable, qui veut mettre sept ou huit cents francs à une maison ; elles pourront ensemble en avoir une de onze à douze cents livres ; elle a un bon carrosse, elle ne serait nullement incommode, et on n’aurait de société avec elle qu’autant que l’on voudrait ; elle serait ravie de me plaire, et d’être dans un lieu où elle me pourrait voir, car c’est une passion qui pourtant ne la rend point incommode. Il faudrait que, d’ici à Pâques, mademoiselle de Méri demandât une chambre à l’abbé d’Effiat : j’ai jeté tout cela dans la tête de la Troehe.

Je trouve, ma très-chère, que je vous réponds assez souvent par avance, comme Trivelin, et sur ma santé, et sur M. de Vins : vous n’attendez point trois semaines. La réflexion est admirable, qu’avec tous nos étonnements de nos lettres que nous recevons du trois au onze, c’est neuf jours ; il nous faut pourtant trois semaines, avant que de dire, Je me porte bien, à votre service.

Vous êtes étonnée que j’aie un petit chien ; voici l’aventure. J’appelais, par contenance, une chienne courante d’une madame qui

  1. Louis Boucherat, chancelier de France en (885, alors commissaire du roi aux états de Bretagne.
  2. Sœur du marquis de la Trousse, cousine germaine de madame de Sévigné.