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Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/346

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mourait dans cette absence : ce serait donc pour trois semaines que nous nous ôterions le moyen de nous voir plus longtemps. Démêlez cela dans votre esprit, et suivant vos desseins, et suivant vos affaires ; mais songez qu’en quelque temps que ce soit, vous devez à mon amitié, et à l’état où j’ai été, la sensible consolation de vous voir. Si vous vouliez revenir ici avec moi de Bourbon, cela serait admirable ; nous passerions notre automne ici ou à Livry ; et cet hiver, M. de Grignan viendrait nous voir et vous reprendre. Voilà qui serait le plus aisé, le plus naturel, et le plus désirable pour moi ; car enfin, vous devez me donner un peu de votre temps pour l’agrément et le soutien de ma vie. Rangez tout cela dans votre tête, ma chère enfant ; il n’y a point de temps à perdre ; je partirai pour Bourbon ou pour Vichy dans le mois qui vient.

Vous voulez que je vous parle de ma santé, elle est très-bonne, hormis mes mains et mes genoux, où je sens quelques douleurs. Je dors bien, je mange bien, mais avec retenue ; on ne me veille plus ; j’appelle, on me donne ce que je demande, on me tourne, et je m’endors. Je commence à manger de la main gauche ; c’était une chose ridicule de me voir imboccar da isergenti ; et pour écrire, vous voyez où j’en suis maintenant[1]. On me dit mille biens de Vichy, et je crois que je l’aimerai mieux que Bourbon, par deux raisons : l’une, qu’on dit que madame de Montespan va à Bourbon ; et l’autre, que Vichy est plus près de vous ; en sorte que, si vous y veniez, vous auriez moins de peine, et que si le Bien bon changeait d’avis, nous serions plus près de Grignan. Enfin, ma très-chère, je reçois dans mon cœur la douce espérance de vous voir ; c’est à vous à disposer de la manière, et surtout que ce ne soit pas pour quinze jours, car ce serait trop depeineet trop de regret pour si peu de temps. Vous vous moquez de Villebrune ; il ne m’a pourtant rien conseillé que l’on ne me conseille ici. Je m’en vais faire suer mes mains ; et pour l’équinoxe, si vous saviez l’émotion qui arrive quand ce grand mouvement se fait, vous reviendriez de vos erreurs. Le /rater s’en ira bientôt à sa brigade, et de là à matines[2]. Il y a six jours que je suis dans ma chambre à faire l’entendue, à me reposer. Je reçois tout le monde ; il m’est venu des Soubise, des Sully, à cause de vous. On ne parle point du tout

  1. Madame de Sévigné commençait à reprendre son écriture ordinaire, mais d’une main encore mal assurée.
  2. M. de Sévigné s’arrêtait volontiers, en allant et en revenant, chez une abbesse de sa connaissance.