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Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/355

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gînez-vous qu’elles sont bouillantes, et d’un goût de salpêtre fort désagréable. On tourne, orna, on vient, on se promène, on entend la messe, on rend ses eaux, on parle confidemment de la manière dont on les rend : il n’est question que de cela jusqu’à midi. Enfin, on dîne ; après dîner, on va chez quelqu’un : c’était aujourd’hui chez moi. Madame de Brissac a joué à l’ombre avec Saint-Hérem et Planci ; le chanoine et moi, nous lisions l’Arioste ; elle a l’italien dans la tête, elle me trouve bonne. Il est venu des demoiselles du pays avec une flûte, qui ont dansé la bourrée dans la perfection. C’est ici où les Bohémiennes poussent leurs agréments ; elles font des dégognades, où les curés trouvent un peu à redire : mais enfin, à cinq heures, on va se promener dans des pays délicieux ; à sept heures, on soupe légèrement, on se couche à dix. Vous en savez présentement autant que moi. Je me suis assez bien trouvée de mes eaux, j’en ai bu douze verres ; elles m’ont un peu purgée, c’est tout ce qu’on désire. Je prendrai la douche dans quelques jours. Je vous écrirai tous les soirs ; ce m’est une consolation, et ma lettre partira quand il plaira àun petit messager qui apporte les lettres, et qui veut partir un quart d’heure après : la mienne sera toujours prête. L’abbé Bavard vient d’arriver de sa jolie maison, pour me voir : c’est le druide Adamas[1] de cette contrée.


163. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

Jeudi 21 mai.

Notre petit messager crotté vient d’arriver ; il ne m’a point apporté de vos lettres ; j’en ai eu de M. de Coulanges, du bon d’Hacqueville, et de la princesse {de Tarente) qui est à Bourbon. On lui a permis de faire sa cour[2] seulement un petit quart d’heure ; elle avancera bien là ses affaires ; elle m’y souhaite, et moi je me trouve bien ici. Mes eaux m’ont fait encore aujourd’hui beaucoup de bien ; il n’y a que la douche que je crains. Madame de Brissac avait aujourd’hui la colique ; elle était au lit, belle, et coiffée à coiffer tout le monde : je voudrais que vous eussiez vu l’usage qu’elle faisait de ses douleurs, et de ses yeux, et des cris, et des bras, et des mains qui traînaient sur sa couverture, et les situations, et la compassion qu’elle voulait qu’on eût : chamarrée de tendresse et

  1. Personnage du roman de l’Astrée, auquel toutes les bergères du Lignon allaient confier leurs amours.
  2. A madame de Montespan.