Aller au contenu

Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/359

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

occupé de rien, qu’elle m’a envoyé par pure et bonne amitié. Je le retiens, m’en dût-il coûter mon bonnet ; car ceux d’ici me sont entièrement insupportables, et cet homme m’amuse. Il ne ressemble point à un vilain médecin, il ne ressemble point à celui de Chelles ; il a de l’esprit, de l’honnêteté ; il connaît le monde ; enfin j’en suis contente. Il me parlait donc pendant que j’étais au supplice. Représentez-vous un jet d’eau contre quelqu’une de vos pauvres parties, toute la plus bouillante que vous puissiez vous imaginer. On met d’abord l’alarme partout, pour mettre en mouvement tous les esprits ; et puis on s’attache aux jointures qui ont été affligées : mais quand on vient à la nuque du cou, c’est une sorte de feu et de surprise qui ne se peut comprendre ; c’est là cependant le nœud de l’affaire. Il faut tout souffrir, et l’on souffre tout, et l’on n’est point brûlée, et l’on se met ensuite dans un lit chaud, où on sue abondamment, et voila ce qui guérit. Voici encore où mon médecin est bon ; car au lieu de m’abandonner à deux heures d’un ennui qui ne peut se séparer de la sueur, je le fais lire, et cela me divertit. Enfin je ferai cette vie sept ou huit jours, pendant lesquels je croyais boire ; mais on ne veut pas, ce serait trop de choses ; de sorte que c’est une petite allonge à mon voyage. C’est principalement pour finir cet adieu, et faire une dernière lessive, que l’on m’a envoyée ici, et je trouve qu’il y a de la raison : c’est comme si je renouvelais un bail de vie et de santé ; et si je puis vous revoir, ma chère, et vous embrasser encore d’un cœur comblé de tendresse et de joie, vous pourrez peut-être encore m’appeler votre bellissima madré, et je ne renoncerai pas à la qualité de mère beauté, dont M. de Coulanges m’a honorée. Enfin, ma chère enfant, il dépendra de vous de me ressusciter de cette manière. Je ne vous dis point que. votre absence ait causé mon mal ; au contraire, il paraît que je n’ai pas assez pleuré, puisqu’il me reste tant d’eau ; mais il est vrai que de passer ma vie sans vous voir, y jette une tristesse et une amertume à quoi je ne puis m’ accoutumer.

J’ai senti douloureusement le 24 de ce mois[1] ; je l’ai marqué, ma très-chère, par un souvenir trop tendre ; ces jours-là ne s’oublient pas facilement ; mais il y aurait bien de la cruauté à prendre ce prétexte pour ne vouloir plus me voir, et à me refuser la satisfaction d’être avec vous, pour m’ épargner le déplaisir d’un adieu.

  1. Anniversaire du jour où madame de Sévigné se sépara de sa fille à Fontainebleau.