Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/363

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Fête-Dieu, et puis je penserai avec douleur à m’éloigner de vous. Il est vrai que ce m’eût été une joie bien sensible de vous avoir ici uniquement à moi ; vous y avez mis une clause de retourner chacun chez soi, qui m’a fait transir : n’en parlons plus, ma chère enfant, voilà qui est fait. Songez à faire vos efforts pour venir me voir cet hiver : en vérité, je crois que vous devez en avoir quelque envie, et que M. de Grignan doit souhaiter que vous me donniez cette satisfaction. J’ai à vous dire que vous faites tort à ces eaux de les croire noires : pour noires, non ; pour chaudes, oui. Les Provençaux s’accommoderaient mal de cette boisson : mais qu’on mette une herbe ou une fleur dans cette eau bouillante, elle en sort aussi fraîche que lorsqu’on la cueille ; et, au lieu de griller et de rendre la peau rude, cette eau la rend douce et unie : raisonnez là-dessus. Adieu, ma chère enfant ; s’il faut, pour profiter des eaux, ne guère aimer sa fille, j’y renonce. Vous me mandez des choses trop aimables, et vous l’êtes trop aussi quand vous voulez. N’est-il pas vrai, M. le comte, que vous êtes heureux de l’avoir ? et quel présent vousai-je fait !


167. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Vichy, lundi 8 juin 1676.

Ne doutez pas, ma fille, que je ne sois touchée très-sensiblement de préférer quelque chose à vous qui m’êtes si chère : toute ma consolation, c’est que vous ne pouvez ignorer mes sentiments, et que vous verrez dans ma conduite un beau sujet de réfléchir, comme vous faisiez l’autre jour, touchant la préférence du devoir sur l’inclination. Mais je vous conjure, et M. de Grignan, de vouloir bien me consoler cet hiver de cette violence qui coûte si cher à mon cœur. Voilà donc ce qui s’appelle la vertu et la reconnaissance ! je ne m’étonne pas si l’on trouve si peu de presse dans l’exercice de ces belles vertus. Je n’ose, en vérité, appuyer sur ces pensées ; elles troublent entièrement la tranquillité qu’on ordonne en ce pays. Je vous conjure encore de vous tenir pour toute rangée chez moi, comme vous y étiez ; et de croire encore que voilà précisément la chose que je souhaite le plus fortement. Vous êtes en peine de ma douche, ma très-chère ; je l’ai prise huit matins, comme je vous l’ai mandé ; elle m’a fait suer abondamment ; c’est tout ce qu’on demande, et, bien loin de m’en trouver plus faible, je m’en trouve plus forte. Il est vrai que vous m’auriez été dune grande