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Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/369

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sueurs de la douche, pour m’ôter à jamais la crainte du rhumatisme : voilà ce que je voulais, et ce que j’ai trouvé. Je me sens bien honorée du goût qu’a M. de Grignan pour mes lettres : je ne les crois jamais bonnes ; mais puisque vous les approuvez, je ne leur en demande pas davantage. Je vous remercie de l’espérance que vous me donnez de vous voir cet hiver ; je n’ai jamais eu plus d’envie de vous embrasser. J’aime l’abbé de vous avoir écrit si paternellement ; lui, qui souffre avec peine d’être six semaines sans me voir, ne doit-il pas entrer dans la douleur que j’ai de passer ma vie sans vous-, et dans l’extrême désir que j’ai de vous avoir ?

On dit que madame de Rochefort est inconsolable. Madame de Vaubrun est toujours dans son premier désespoir. Je vous écrirai de Moulins. Je ne fais pas de réponse à la moitié de votre aimable lettre, je n’en ai pas le temps.


170. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

ABriare, mercredi 2i juin 1676.

Je m’ennuie, ma très-chère, d’être si longtemps sans vous écrire. Je vous ai écrit deux fois de Moulins ; mais il y a déjà bien loin d’ici à Moulins. Je commence à dater mes lettres de la distance que vous voulez. Nous partîmes donc lundi de cette bonne ville : nous avons eu des chaleurs extrêmes. Je suis bien assurée que vous n’avez pas trouvé d’eau dans votre petite rivière, puisque notre belle Loire est entièrement à sec en plusieurs endroits. Je ne comprends pas comme auront fait madame de Montespan et madame de Tarente ; elles auront glissé sur le sable. Nous partons à quatre heures du matin ; nous nous reposons longtemps à la dînée ; nous dormons sur la paille et sur les coussins de notre carrosse, pour éviter les incommodités de l’été. Je suis d’une paresse digne de la vôtre ; par le chaud, je vous tiendrais compagnie à causer sur un lit, tant que terre nous pourrait porter. J’ai dans la tête la beauté de vos appartements ; vous avez été trop longtemps à me les dépeindre.

Je crois que sur ce lit vous m’expliqueriez ces ridicules qui viennent des défauts de l’âme, et dont je me doute à peu près. Je suis toujours d’accord de mettre au premier rang de ce qui est bon ou mauvais, tout ce qui vient de ce côté-là : le reste me paraît supportable, et quelquefois excusable ; les sentiments du cœur me paraissent seuls dignes de considération ; c’est en leur faveur que