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Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/409

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place à la princesse Cléopâtre. Le bon abbé a des soins de moi incroyables ; il s’est engagé dans des complaisances, des douceurs, des bontés, des facilités dont il me paraît que vous devez lui tenir compte, ayant envie, dit-il, de vous plaire en me conduisant si bien : je lui ai promis de ne vous rien laisser ignorer là-dessus.

Nous lisons une histoire des empereurs d’Orient, écrite par une jeune princesse, fille de l’empereur Alexis[1]. Cette histoire est divertissante, mais c’est sans préjudice de Lucien, que je continue : je n’en avais jamais vu que trois ou quatre pièces célèbres ; les autres sont tout aussi belles. Mais ce que je mets encore au-dessus, ce sont vos lettres : ce n’est point parce que je vous aime : demandez à ceux qui sont auprès de vous. M. le comte, répondez ; M. de la Garde, M. l’abbé, n’est-il pas vrai que personne n’écrit comme elle ? Je me divertis donc de deux ou trois que j’ai apportées ; vraiment ce que vous dites d’une certaine femme est digne de l’impression. Au reste, je ne m’en dédis point ; j’ai vu passer la diligence ; je suis plus persuadée que jamais qu’on ne peut point languir dans une telle voiture ; et pour une rêverie de suite, hélas ! il vient un cahot qui vous culbute, et l’on ne sait plus où l’on en est. À propos,

la B…[2] s’est signalée en cruauté et barbarie sur la mort de sa mère[3] ; c’était elle qui devait pleurer par son seul intérêt ; elle est généreuse autant que dénaturée ; elle a scandalisé tout le monde ; elle causait et lavait ses dents pendant que la pauvre femme rendait l’âme. Je vous entends crier d’ici. Ah, ma fille ! que vous êtes bien dans l’autre extrémité ! J’ai médité sur cette mort. Madame de Guénégaud avait fait un grand rôle, la fortune de bien des gens, la joie et le plaisir de bien d’autres ; elle avait eu part à de grandes affaires ; elle avait eu la confiance de deux ministres (M. de Chavigny, M. Fouquet), dont elle avait honoré le bon goût. Elle avait un grand esprit, de grandes vues, un grand art de posséder noblement une grande fortune ; elle n’a point su en supporter la perte : sa déroute avait aigri son esprit ; elle était irritée de son malheur ; cela se répandait surtout, et servait peut-être de prétexte au refroidissement de ses amis. En cela toute contraire au pauvre M. Fouquet, qui était ivre de sa faveur, et qui a soutenu

  1. La princesse Anne Comnène, qui vivait au commencement du xiie siècle.
  2. Elisabeth-Angélique du Plessis-Guénégaud, veuve de François, comte de Boufflers.
  3. Madame de Guénégaud.