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Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/430

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écrit, j’ai au moins la consolation de croire que ce n’est pas votre faute, et que j’aurai demain une de vos lettres. Voilà sur quoi tout va rouler, au lieu d’être avec vous tous les jours et tous les soirs,


207. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, lundi 18 septembre 1679.

J’attendais votre lettre avec impatience, et j’avais besoin d’être instruite de l’état où vous êtes ; mais je n’ai jamais pu voir sans fondre en larmes tout ce que vous me dites de vos réflexions et de votre repentir sur mon sujet. Ah ! ma très-chère, que me voulez-vous dire de pénitence et de pardon ? Je ne vois plus rien que tout ce que vous avez d’aimable, et mon cœur est fait d’une manière pour vous, qu’encore que je sois sensible jusqu’à l’excès à tout ce qui vient de vous, un mot, une douceur, un retour, une caresse, une tendresse me désarme, me guérit en un moment, comme par une puissance miraculeuse ; et mon cœur retrouve toute sa tendresse, qui, sans se diminuer, change seulement de nom, selon le > différents mouvements qu’elle me donne. Je vous ai dit ceci plusieurs fois, je vous le dis encore, et c’est une vérité ; je suis persuadée que vous ne voulez pas en abuser, mais il est certain que vous faites toujours, en quelque façon que ce puisse être, la seule agitation de mon âme : jugez si je suis sensiblement touchée de ce que vous me mandez. Plût à Dieu, ma fille, que je pusse vous revoir à l’hôtel de Carnavalet, non pas pour huit jours, ni pour y faire pénitence ; mais pour vous embrasser, et vous faire voir clairement que je ne puis être heureuse sans vous, et que les chagrins que l’amitié que j’ai pour vous m’a pu donner me sont plus agréables que toute la fausse paix d’une ennuyeuse absence. Si votre cœur était un peu plus ouvert, vous ne seriez pas si injuste : par exemple, n’est-ce pas un assassinat que d’avoir cru qu’on voulait vous ôter de mon cœur, et sur cela me dire des choses dures ? Et le moyen que je pusse deviner la cause de ces chagrins ? Vous dites qu’ils étaient fondés : c’était dans votre imagination, ma fille ; et sur cela, vous aviez une conduite qui était plus capable de faire ce que vous craigniez (si c’était une chose faisable) que tous les discours que vous supposiez qu’on me faisait : ils étaient sur un autre ton ; et puisque vous voyiez bien que je vous aimais toujours, pourquoi suiviez-vous votre injuste pensée, et que ne tâchiez-vous plutôt, à tout hasard, de me faire connaître que vous m’aimiez ? Je perdais beaucoup à me taire ; j’étais digne de louanges dans tout ce