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Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/432

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elle se révolte aisément contre les moindres choses, lors même qu’on croit avoir pris les meilleurs tons : mais enfin elle est mieux ; je reviendrai la voir de Livry, où je m’en vais présentement avec le bon abbé et Corbinelli. Je puis vous dire une vérité, ma très-chère : c’est que je ne me suis point assez accoutumée à votre vue, pour vous avoir jamais trouvée ou rencontrée sans une joie et une sensibilité qui me fait plus sentir qu’à une autre l’ennui de notre séparation : je m’en vais encore vous redemander à Livry, que vous m’avez gâté ; je ne me reproche aucune grossièreté dans mes sentiments, ma très-chère, et je n’ai que trop senti le bonheur d’être avec vous. Je vis hier madame de Lavardin et M. de la Rochefoucauld, dont le petit-fils est encore assez mal pour l’inquiéter. M. de Toulongeon[1] est mort en Béarn ; le comte de Gramont a sa lieutenance de roi, à condition de la rendre dans quelque temps au second fils de M. de Feuquières pour cent mille francs. La reine d’Espagne crie toujours miséricorde, et se jette aux pieds de tout le monde ; je ne sais comme l’orgueil d’Espagne s’accommode de ces désespoirs. Elle arrêta l’autre jour le roi par delà l’heure de la messe ; le roi lui dit : « Madame, ce serait une belle chose que la reine catholique empêchât le roi très-chrétien d’aller à la messe. » On dit qu’ils seront tous fort aises d’être défaits de cette catholique. Je vous conjure de faire mille amitiés pour moi à la belle Rochebonne. Adieu, ma très-chère et très-aimable, je vous jure que je ne puis envisager en gros le temps de votre absence ; vous m’avez bien fait de petites injustices, et vous en ferez toujours quand vous oublierez comme je suis pour vous ; mais soyez-en mieux persuadée, et jele serai aussi de la bonté et de la tendresse de votre cœur pour moi. Madame de la Fayette vous embrasse, et vous prie de conserver l’amitié nouvelle que vous lui avez promise.


208. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Livry, vendredi 22 septembre 1679.

Je pense toujours à vous ; et comme j’ai peu de distractions, je me trouve bien des pensées. Je suis seule ici ; Corbinelli est à Paris : mes matinées seront solitaires. Il me semble toujours, ma fille, que je ne saurais continuer de vivre sans vous : je me trouve peu avancée dans cette carrière ; et c’est pour moi un si grand mal de ne vous avoir plus, que j’en tire cette conséquence, qu’il n’y

  1. Frère de Philibert, comte de Gramont.