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Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/434

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huit cent mille francs ; nous en sommes quittes pour deux Dallions deux cent mille livres ; ce n’est rien du tout. Adieu, ma très-chère et très-belle. Si l’extrémité de l’empereur[1] et de don Juan (d’Autriche)[2] pouvait vous satisfaire, on assure qu’ils n’en reviendront pas. Une reine qui porterait une tête en Espagne trouverait une belle conjoncture pour se faire valoir. On dit qu’elle pleura excessivement en disant adieu au roi ; ils retournèrent deux ou trois fois aux embrassades et au redoublement des sanglots : c’est une horrible chose que les séparations.


209. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Livry, vendredi 6 octobre 1679.

Vous avez trouvé le vent contraire ; je n’en suis guère surprise : vous êtes destinée à ce malheur, soit sur le Rhône, ou sur la terre. C’est en vérité, ma chère enfant, un grand chagrin en quelque endroit que ce soit, et je comprends fort aisément l’embarras où vous avez été. Il y a même du péril, et vous fîtes très-sagement d’honorer de votre présence le lieu où M. de Vardes s’est baigné, plutôt que de vous opiniâtrer à gagner Valence : il faut céder à la furie des vents.

Il est venu ici un père Morel de l’Oratoire ; c’est un homme admirable : il a amené Saint- Aubin, qui nous est demeuré. Je voudrais que M. de Grignan eût entendu ce père ; il ne croit pas qu’on puisse, sans péché, donner à ses plaisirs, quand on a des créanciers : ces dépenses lui paraissent des vols qui nous ôtent le moyen de faire justice. Vraiment, c’est un homme bien salé ; il ne fait aucune composition. Mais parlons de Pauline {de Grignan): l’aimable, la jolie petite créature ! hélas ! ai-je été jamais si jolie qu’elle ? on dit que je l’étais beaucoup. Je suis ravie qu’elle vous fasse souvenir de moi : je sais bien qu’il n’est pas besoin décela ; mais enfin j’en ai une joie sensible, vous me la dépeignez charmante, et je crois précisément tout ce que vous m’en dites : gardez-la, ma fille, ne vous privez pas de ce plaisir : la Providence en aura soin. Je vous conseille de ne vous point défendre de la tendresse qu’elle vous inspire, quand vous devriez la marier en Béarn. Mesdemoiselles de Grignan ont eu grande raison de trouver le château de leurs pères

  1. Léopold Ier, empereur, ne mourut que le 5 mai 1705.
  2. Don Juan d’Autriche, fils naturel de Philippe IV, roi d’Espagne, mourut le 17 septembre 1679.