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DE MADAME DE SÉVIGNÉ

je m’en vais en écrire à sa mère. Mais quel ange (madame de la Vallière) m’apparut à la fin ! car M. le prince de Conti la tenait au parloir. Ce fut à mes yeux tous les charmes que nous avons vus autrefois, je ne la trouvai ni bouffie, ni jaune ; elle est moins maigre et plus contente : elle a ses mêmes yeux et ses mêmes regards : l’austérité, la mauvaise nourriture et le peu de sommeil ne les lui ont ni creusés, ni battus ; cet habit si étrange n’ôte rien à la bonne grâce, ni au bon air ; pour la modestie, elle n’est pas plus grande que quand elle donnait au monde une princesse de Conti : mais c’est assez pour une carmélite. Elle me dit mille honnêtetés, et me parla de vous si bien, si à propos ; tout ce qu’elle dit était si assorti à sa personne, que je ne crois pas qu’il y ait rien de mieux. M. de Conti l’aime et l’honore tendrement, elle est son directeur ; ce prince est dévot, et le sera comme son père. En vérité, cet habit et cette retraite sont une grande dignité pour elle.


215. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 10 janvier 1680.

Si j’avais un cœur de cristal, où vous pussiez voir la douleur triste et sensible dont j’ai été pénétrée en voyant comme vous souhaitez que ma vie soit composée de plus d’années que la vôtre, vous connaîtriez bien clairement avec quelle vérité et quelle ardeur je souhaite aussi que la Providence ne dérange point l’ordre de la nature, qui m’a fait naître votre mère, et venir en ce monde beaucoup devant vous ; c’est la règle et la raison, ma fille, que je parte la première ; et Dieu, pour qui nos cœurs sont ouverts, sait bien avec quelle instance je lui demande que cet ordre s’observe en moi. Il est impossible que la vérité et la justice de ce sentiment ne vous pénètre pas comme j’en suis pénétrée : de là, ma fille, vous n’aurez point de peine à vous représenter quelle sorte d’intérêt je prends à votre santé. Je vous conjure, par toute l’amitié que vous avez pour moi, de ne m’écrire qu’une feuille tout au plus : dites à quelqu’un de m’écrire, et même ne dictez point, cela fatigue. Enfin, je ne puis plus trouver de plaisir à ce qui me charmait autrefois dans votre absence, et vos grandes lettres me font plus de mal qu’à vous ; je vous prie de m’ôter cette peine, il m’en reste encore assez. Madame de Schomberg vous conseille, si vous voulez à toute force prendre du café, d’y mettre du miel de Narbonne au lieu de sucre, cela console la poitrine, et c’est avec cette modification