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Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/500

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la pas bien traiter : madame de Savoie lui en avait écrit comme de sa meilleure amie.

Je suis fort aise que M. de Grignan soit content de ma lettre : j’ai dit assez sincèrement ce que je pense ; il devrait bien le penser lui-même, et renvoyer toutes les fantaisies ruineuses qui servent chez lui par quartier : il ne faudrait pas qu’elles dormissent, comme cette noblesse de basse Bretagne ; il serait à souhaiter qu’elles fussent entièrement supprimées. Adieu, ma très-aimable et très-raisonnable, j’admire et j’aime vos lettres ; cependant je n’en veux point ; cela paraît un peu extraordinaire, mais cela est ainsi : coupez court, faites discourir Montgobert : je m’engage à vous ôter le dessein de m’écrire beaucoup, par la longueur dont je fais mes lettres ; vous les trouverez au-dessus de vos forces, c’est ce que je veux : ainsi ma poitrine sauvera la vôtre. Il me semble que vous avez bien des commerces, quoi que vous disiez ; pour moi, je ne fais que répondre, je n’attaque point : mais cela fait quelquefois tant de lettres, que les jours de courrier, quand je trouve le soir mon écritoire, j’ai envie de me cacher sous le lit ; comme cette chienne de feu Madame, quand elle voyait des livres.


235. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

Aux Rochers, samedi 15 juin 1680.

Je ne réponds point à ce que vous me dites de mes lettres, je suis ravie qu’elles vous plaisent ; mais si vous ne me le disiez, je ne les croirais pas supportables. Je n’ai jamais le courage de les lire tout entières, et je dis quelquefois : Mon Dieu, que je plains ma fille de lire tout ce fatras de bagatelles ! Quelquefois même je nierepens de tant écrire, je crois que cela, vous jette trop de pensées, et vous fait peut-être une sorte d’obligation de me faire réponse. Ah ! laissez-moi causer avec vous, cela me divertit ; mais ne me répondez point, il vous en coûte trop cher : votre dernière lettre passe les bornes du régime, et du soin que vous devez avoir de vous. Vous êtes trop bonne de me souhaiter du monde, il ne m’en faut point : me voilà accoutumée ta la solitude ; j’ai des ouvriers qui m’amusent ; le bon abbé a les siens tout séparés. Le goût qu’il a pour bâtir et pour ajuster va au delà de sa prudence : il est vrni qu’il en coûte peu, mais ce serait encore moins si l’on se tenait en repos. C’est ce bois qui fait mes délices, il est d’une beauté surprenante ; j’y suis souvent seule avec ma canne et avec Loui-