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247. — DE Mme  DE SÉVIG.NÉ À Mme  DE ORIGNAL.

Aux Rochers, mercredi 15 novembre 1681.

J’ai euvie, ma chère bonne, — de commencer à vous répondre par la lettre que m’a écrite le maréchal d" Estrades ; il me conte si bonnement et si naïvement toutes les questions que vous lui avez faites sur mon sujet, et je vois si bien tout l’intérêt que votre amitié vous fait prendre à la vie que je fais ici, quejen’ai pu lire sans pleurer la lettre de ce bon homme : mais, ma chère bonne, quand je suis venue à l’endroit où vous avez pleuré vous-même en apprenant le sensible souvenir que j ai toujours de votre aimable personne, et de notre séparation, j’ai redoublé mes soupirs et mes sanglots. Ma chère bonne, je vous en demande pardon, cela est passé ; mais je n’étais point en garde contre ce récit tout naïf que m’a fait ce bon homme ; il m’a prise au dépourvu, et je n’ai pas eu le loisir de me préparer. Voilà, ma chère enfant, une relation toute naturelle de ce qui m’est arrivé de plus considérable depuis que je vous ai écrit : mais il s’est passé dans mon cœur un trait d’amitié si tendre et si sensible, si naturel, si vrai et si vif, que je n’ai pu vous le cacher : aussi bien, ma bonne, il me semble que vous êtes assez comme moi, et que nous mettons au premier rang les choses qui nous regardent, et le reste vient après pour arrondir la dépêche. Vous dites que je ne suis point avec vous, ma bonne ; et pourquoi ? hélas ! qu’il me serait aisé de vous le dire, si je voulais salir mes lettres des raisons qui m’obligent à cette séparation, des misères de ce pays, de ce qu’on m’y. doit, de la manière dont on me paye, de ce que je dois ailleurs, et de quelle façon je me serais laissée surmonter et suffoquer par mes affaires, si je n’avais pris, avec une peine infinie, cette résolution ! Vous savez que depuis deux ans je la diffère avec plaisir, sans y balancer : mais, ma chère bonne, il y a des extrémités où l’on romprait tout, si l’on voulait se roidir contre la nécessité ; je ne puis plus hasarder ces sortes de conduites hasardeuses : le bien que je possède n’est plus à moi ; il faut finir avec la même probité dont on a fait profession toute sa vie : voilà ce qui m’a arrachée, ma bonne, d’entre vos bras pour quelque temps, vous savez avec quelles douleurs ! Je vous en cache les suites, parce que je veux me bien porter, et que je tache de me les cacher à moi-même : mais cette espérance dont je vous ai parlé mesoutient, et me persuade qu’enfin je vous reverrai ; et c’est cette pensée qui me fait vivre. Je suis ici