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Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/535

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laissez pas de m’en redire un mot. O sainte GRignan, que je vous suis obligée, si c’est à vous que je dois cette certitude !

Revenons à Livry, vous m’en paraissez entêtée ; vous avez pris toutes mes préventions, je reconnais mon sang : je serai ravie que cet entêtement vous dure au moins toute l’année. Que vous êtes plaisante avec ce rire du père prieur, et cette tête tournée qui veut dire une approbation ! Le Bien bon souhaite que du Harlay vous serve aussi bien dans le pays qu’il nous a bien nettoyé et parfumé les jardins. Mais où prenez-vous, ma bonne, qu’on entende des rossignols le 13 de juin ? Hélas ! ils sont tous occupés du soin de leur petit ménage, il n’est plus question ni de chanter, ni de faire l’amour, ils ont des pensées plus solides. Je n’en ai pas entendu un seul ici ; ils sont en bas vers ces étangs, vers cette petite rivière ; mais je n’ai pas tant battu de pays, et je me trouve trop heureuse d’aller en toute liberté dans ces belles allées de plain pied.

Il faut tout de suite parler de ma jambe, et puis nous reviendrons encore à Livry ; non, ma bonne, il n’y a plus nulle sorte de plaie, il y a longtemps ; mais ces pères voulaient faire suer cette jambe pour la désenfler entièrement, et amollir l’endroit où étaient ces plaies, qui était dur ; ils ont mieux aimé, avec un long temps, me faire transpirer toutes ces sérosités par ces herbes qui attirent de l’eau, et ces lessives, et ces lavages ; et à mesure que je continue les remèdes, ma jambe redevient entièrement dans son naturel, sans douleur, sans contrainte. On étale l’herbe sur un linge, on le pose sur ma jambe, et on l’enterre après une demi-heure : je ne crois pas qu’on puisse guérir plus agréablement un mal de sept ou huit mois. La princesse {de Tarente), qui est habile, est contente de ce remède, et s’en servira dans les occasions. Elle vint hier ici avec un grand emplâtre sur son pauvre nez, qui a pensé en vérité être cassé. Elle me dit tout bas qu’elle venait de recevoir cette petite boite de thériaque céleste qu’elle vous donne avec plaisir ; j’irai la prendre demain dans son parc, où elle est établie ; c’est le plus précieux présent qu’on puisse faire. Parlez-en à Madame, quand vous ne saurez que lui dire. On croit que madame l’électrice[1] pourrait bien venir en France, si on lui assure qu’elle pourra vivre et mourir dans sa religion, c’est-à-dire qu’on lui laisse la liberté de se damner. La princesse nous a parlé du carrousel. Je me doutais bien, ma

  1. Wilhelraine-Ernestine, fille de Frédéric III, roi de Danemark, veuve de Charles II, duc et électeur de Bavière, comte palatin du Rhin.