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Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/549

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qui paraissait pendu et suspendu à tout ce qu’il disait, d’une telle sorte qu’on ne respirait pas. De vous dire de quels traits tout cela était orné, il est impossible ; et je gâte même cette pièce par la grossièreté dont je la croque. C’est comme si un barbouilleur voulait toucher à un tableau de Raphaël. Enfin, mes chers enfants, voilà ce qui vous doit toujours donner une assez grande curiosité pour voir cette pièce imprimée. Celle de M. de Meaux l'est déjà. Elle est fort belle, et de main de maître. Le parallèle de M. le Prince et de M. de Turenne est un peu violent ; mais il s’en excuse en niant que ce soit un parallèle, et en disant que c’est un grand spectacle qu’il présente de deux grands hommes que Dieu a donnés au roi, et tire de là une occasion fort naturelle de louer Sa Majesté, qui sait se passer de ces deux grands capitaines, tant est fort son génie, tant ses destinées sont glorieuses. Je gâte encore cet endroit ; mais il est beau. Adieu, mon cousin ; je suis lasse, et vous aussi. Je t’embrasse, ma nièce, et ton petit de Langheac.


260. — DE Mme DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE BUSSY.

À Paris, ce 13 novembre [657.

Je reçois présentement une lettre de vous, mon cher cousin, la plus aimable et la plus tendre qui fut jamais. Je n’ai jamais vu expliquer l’amitié si naturellement, et d’une manière si propre à persuader. Enfin vous m’avez persuadée, et je crois que ma vie est nécessaire à la conservation de la vôtre. Je m’en vais donc vous en rendre compte, pour vous rassurer et vous faire connaître l’état où je suis.

Je reprends dès les derniers jours de la vie de mon cher oncle l’abbé, à qui, comme vous savez, j’avais des obligations infinies. Je lui devais la douceur et le repos de ma vie ; c’est lui à qui vous devez la joie que j’apportais dans votre société ; sans lui, nous n’aurions jamais ri ensemble ; vous lui devez toute ma gaieté, ma belle humeur, ma vivacité, le don que j’avais de vous bien entendre, l’intelligence qui me faisait comprendre ce que vous aviez dit, et deviner ce que vous alliez dire ; en un mot, le bon abbé, en me retirant des abîmes où M. de Sévigné m’avait laissée, m’a rendue telle que j’étais, telle que vous m’avez vue, et digne de votre estime et de votre amitié. Je tire le rideau sur vos torts ; ils sont grands, mais il les faut oublier, et vous dire que j’ai vivement senti la perte de cette agréable source de tout le repos de ma vie. Il est mort en