transplanté, et en apparence fort heureux. Nous ne voyons point le dessous des cartes ; mais enfin, c’est cette Providence qui l’a conduit par des chemins si extraordinaires, et si loin de nous faire deviner la fin du roman, qu’on ne peut en tirer aucune conséquence, ni s’en faire aucun reproche. Il faut donc revenir d’où nous sommes partis, et se résoudre sans murmure à tout ce qu’il plaît à Dieu de faire de nous.
Je ne sais comment je me suis embarrassée dans ces moralités : j’en veux sortir en vous disant que c’est le marquis de Villars, qui est revenu d’Allemagne[1], qui nous a dit des merveilles de notre cousin. Je vous dois dire aussi que ma fille a gagné son procès tout d’une voix, avec tous les dépens. Cela est remarquable. Voilà un grand fardeau hors de dessus les épaules de toute cette famille ; c’était un dragon qui les persécutait depuis six ans ; mais à celui-là qui est détruit il en succède un autre : c’est la pensée de se séparer. N’est-ce pas là ce que je disais de la manière de la Providence ? Il faudra donc nous dire adieu, ma fille et moi, l’une pour Provence, l’autre pour Bretagne. C’est ainsi vraisemblablement que la Providence va disposer de nous. Elle a fait mourir aussi la nièce de notre Corbinelli d’une manière étrange. Elle avait emprunté avec son oncle le carrosse d’un de ses amis : un portier qui n’avait jamais mené prit témérairement de jeunes chevaux ; il monte sur le siège ; il va choquant, rompant, brisant, courant partout. Un cheval s’abat, le timon va enfiler un carrosse, d’où trois hommes sortent l’épée à la main : le peuple s’assemble ; un de ces hommes veut tuer Corbinelli : Hélas ! messieurs, leur dit-il, vous n’en seriez pas mieux ; le cocher n’est point à moi, nous sommes au désespoir contre lui. Cet homme devient son protecteur, le tire de la populace ; mais il ne tire pas sa pauvre nièce d’une frayeur si excessive, qu’elle revient chez elle le cœur serré au point que la fièvre lui prend le soir, et quatre jours après elle meurt. Elle aété généralement regrettée de ceux qui la connaissaient. La philosophie de notre ami ne Ta pas empêché d’en pleurer ; mais j’espère qu’enfin elle le consolera. C’est à elle que je le recommande ; car je n’ai pas la vanité de croire que je puisse en cette rencontre quelque chose sur son esprit. Cependant, mon cher cousin, je lui laisse la plume, après vous avoir embrassé de tout mon cœur, et mon aimable nièce, à qui je prétends
- ↑ C’est le maréchal de Villars, le vainqueur de Denain, dont il nous reste des Mémoires intéressants.