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Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/585

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ce dernier paraît vieilli et fatigué, la reine maigre, et des yeux qui ont pleuré, mais beaux et noirs ; un beau teint un peu pâle ; la bouche grande, de belles dents, une belle taille, et bien de l’esprit ; tout cela compose une personne qui plaît fort. Voilà de quoi subsister longtemps dans les conversations publiques.

Le pauvre chevalier ne peut encore écrire, ni aller à Versailles, dont nous sommes bien fâchés, car il y a mille affaires ; mais il n’est point malade ; il soupa samedi avec madame de Coulanges, madame de Vauvineux, M. de Duras et votre fils chez le lieutenant civil, où l’on but la santé de la première et de la seconde, c’est-à-dire madame de la Fayette et vous ; car vous avez cédé à la date de l’amitié. Hier, madame de Coulanges donna un très-joli souper aux goutteux ; c’était l’abbé de Marsillac, le chevalier de Grignan, M. de Lamoignon ; la néphrétique tient lieu de goutte ; sa femme et les Divines toujours pleines de fluxions, moi en considération du rhumatisme que j’eus il y a douze ans, Coulanges qui mérite la goutte. On causa fort : le petit homme chanta, et fit un vrai plaisir à l’abbé de Marsillac, qui admirait et tâtonnait ses paroles avec des tons et des manières qui faisaient souvenir de celles de son père {le duc de la Rochefoucauld), au point d’en être touché.

M. de Lauzun n’est point retourné en Angleterre : il est logé à Versailles : il est fort content : il a écrit à Mademoiselle ; mais, dans la colère où elle est contre lui, je doute qu’il réussisse à l’apaiser. J’ai fait encore un chef-d’œuvre, j’ai été voir madame de Ricouart, revenue depuis peu, très-contente d’être veuve. Vous n’avez qu’à me donner vos reconnaissances à achever, comme vos romans ; vous en souvient-il ? Je remercie l’aimable Pauline de sa lettre ; je suis fort assurée que sa personne me plairait : elle n’a donc pu trouver d’autre alliance avec moi que madame ? cela est bien sérieux. Adieu, ma chère enfant ; conservez votre santé, c’est-à-dire votre beauté, que j’aime tant.


279. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi M janvier 1689.

Me voici, ma chère fille, après le dîner, dans la chambre du chevalier : il est dans sa chaise, avec mille petites douleurs qui courent par toute sa personne. Il a fort bien dormi, mais cet état de résidence et de ne pouvoir sortir lui donne beaucoup de chagrins