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LETTRES


Cette cour d’Angleterre est toute établi à Saint-Germain ; ils n’ont voulu que cinquante mille francs par mois, et ont réglé leur cour sur ce pied. La reine plaît fort ; le roi cause agréablement avec elle, elle a l’esprit juste et aisé. Le roi avait désiré que ma-dame la Dauphine y allât la première ; elle a toujours si bien dit qu’elle était malade, que cette reine vint la voir il y a trois jours, habillée en perfection ; une robe de velours noir, une belle jupe, bien coiffée, une taille comme la princesse de Conti, beaucoup de majesté. Le roi alla la recevoir à son carrosse ; elle fut d’abord chez lui, où elle eut un fauteuil au-dessus de celui du roi ; elle y fut une demi-heure, puis il la mena chez madame la Dauphine, qui fut trouvée debout ; cela fit un peu de surprise : la reine lui dit : « Madame, je vous croyais au lit. — Madame, dit madame la Dauphine, j’ai voulu me lever, pour recevoir l’honneur que Votre Majesté me fait. » Le roi les laissa, parce que madame la Dauphine n’a point de fauteuil devant lui. Cette reine se mit à la bonne place, dans un fauteuil, madame la Dauphine à sa droite, Madame à sa gauche, trois autres fauteuils pour les trois petits princes : on causa fort bien plus d’une demi-heure ; il y avait beaucoup de duchesses, la cour fort grosse. Enfin, elle s’en alla ; le roi se fit avertir, et la remit dans son carrosse. Je ne sais jusqu’où le conduisit madame la Dauphine ; je le saurai. Le roi remonta, et loua fort la reine ; il dit : « Voilà comme il faut que soit une reine, et de corps et d’esprit, tenant sa cour avec dignité. » Il admira son courage dans ses malheurs, et la passion qu’elle avait pour le roi son mari ; car il est vrai qu’elle l’aime, comme vous a dit cette diablesse de madame de R…… Celles de nos dames qui voulaient faire les princesses n’avaient point baisé la robe de la reine, quelques duchesses en voulaient faire autant : le roi l’a trouvé fort mauvais ; on lui baise les pieds présentement. Madame de Chaulnes a su tous ces détails, et n’a point encore rendu ce devoir. Elle a laissé le marquis à Versailles, parce que le petit compère s’y divertit fort bien : il a mandé à son oncle qu’il irait aujourd’hui au ballet, à Trianon : M. le chevalier vous enverra sa lettre. Il est donc là sur sa bonne foi, faisant toutes les commissions que son oncle lui donne, pour l’accoutumera être exact, aussi bien qu’à calculer : quel bien ne lui fera point cette sorte d’éducation ! J’ai reçu une réponse de M. de Carcassonne ; c’est une pièce rare, mais il faut s’en taire ; j’y répondrai bien, je vous en assure : il a