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Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/612

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un autre la R...., dont les folies et les fureurs sont inconcevables ; une autre fois le passage du Rhin : nous appelons cela dévider tantôt une chose, tantôt une autre. Nous arrivâmes jeudi au soir à Vannes : nous logeâmes chez l’évêque, fils de M. d’Argouges ; c’est la plus belle et plus agréable maison, et la mieux meublée qu’on puisse voir : il y eut un souper d’une magnificence à mourir de faim ; je disais à Revel : Ah ! que j’ai faim ! on me donnait un perdreau, j’eusse voulu du veau ; une tourterelle, je voulais une aile de ces bonnes poulardes de Rennes : enfin je ne m’en dédis point : si vous dites, Je mangerai tant que Fon voudra, parce que je n’ai point de faim ; Je dirai, Je mangerais le mieux du monde, s’il n’y avait rien sur la table : il faut pourtant s’accoutumer à cette fatigue.

M. de la Faluère me fit des honnêtetés au delà de tout ce que je puis dire : il me regardait, etne me parlait qu’avec des exclamations : Quoi, c’est là madame de Sévigné ! quoi, c’est elle-même ! Hier, vendredi, il nous donna à dîner en poisson ; ainsi nous vîmes ce que la terre et la mer savaient faire : c’est ici le pays des festins. Je causai avec ce premier président ; il me disait tout naïvement qu’il improuvait infiniment la requête civile, parce qu’ayant su par M. Ferrand, son beau-frère, comme l’affaire avait été gagnée tout d’une voix, il était convaincu que la justice et la raison étaient de votre côté. Je lui dis un mot de notre petite bataille du grand conseil : il admira notre bonheur, et détesta cet excès de chicane. Je discourus un peu sur les manières de madame de Bury, sur cette inscription de faux contre une pièce qu’elle savait véritable, sur l’argent que cette chicane avait coûté, sur la plainte qu’elle faisait qu’on avait étranglé son affaire après vingt-deux vacations, sur la délicatesse de cette conscience, sur cette opiniâtreté contre l’avis de ses meilleurs amis. M. de la Faluère m’ écoutait avec attention et sans ennui : je vous en réponds : sa femme est à Paris. Ensuite on dîna, on fit briller le vin de Saint-Laurent, et en basse note, entre M. et madame de Chaulnes, l’évêque de Vannes et moi, votre santé fut bue, et celle de M. de Grignan, gouverneur de ce nectar admirable : enfin, ma belle, il est question de vous à l’autre bout du monde. Nous vîmes une fort jolie fille qui ferait de l’honneur à Versailles ; mais elle épouse M. de Querignisignidi, fort proche voisin du Conquêt[1], et fort loin de Trianon. M. de Revel est parti ce matin

  1. Le Conquèt est situé au fond de la Bretagne, dans un endroit appelé le bout du monde, ad fines terra. Aujourd’hui le Finistère.