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Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/639

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établissements ! Rien ne manquait à son bonheur : il nous semble que c’est la splendeur qui est morte. Ce qui nous a surpris, c’est qu’on dit que madame de Seignelai renonce à la communauté, parce que son mari doit cinq millions. Cela fait voir que les grands revenus sont inutiles quand on en dépense deux ou trois fois autant. Enfin, mon cher cousin, la mort nous égale tous ; c’est où nous attendons les gens heureux. Elle rabat leur joie et leur orgueil, et console par là ceux qui ne sont pas fortunés. Un petit mot de christianisme ne serait pas mauvais en cet endroit ; mais je ne veux pas faire un sermon, je ne veux faire qu’une lettre d’amitié à mon cher cousin, lui demander de ses nouvelles, de celles de sa chère fille, les embrasser tous deux de tout mon cœur, les assurer de l’estime et des services de madame de Grignan et de sou époux qui m’en prient, et les conjurer de m’aimer toujours : ce n’esW pas la peine de changer après tant d’années.


306. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À M. DE COULANGES.

Lambesc, le I er décembre 1690.

Où en sommes-nous, mon aimable cousin ? Il y a environ mille ans que je n’ai reçu de vos lettres. Je vous ai écrit la dernière fois des Rochers par madame de Chaulnes : depuis cela, pas un seul mot de vous. Il faut donc recommencer sur nouveaux frais, présentement que je suis dans votre voisinage : que dites-vous de mon courage ? il n’est rien tel que d’en avoir. Après avoir été seize mois en Bretagne avec mon fils, j’ai trouvé que je devais aussi une visite à ma fille, sachant qu’elle n’allait point cet hiver à Paris ; et j’ai été si parfaitement bien reçue d’elle et de M. de Grignan, que si j’ai eu quelque fatigue, je l’ai entièrement oubliée ; et je n’ai senti que la joie et le plaisir de me trouver avec eux. Ce trajet n’a point été désapprouvé de madame de Chaulnes, ni de mesdames de Lavardin et de la Fayette, auxquelles je demande volontiers conseil ; de sorte que rien n’a manqué au bonheur ni à l’agrément de ce voyage : vous y mettrez la dernière main en repassant par Grignan, où nous allons vous attendre. L’assemblée de nos petits états est finie ; nous sommes ici seuls, en attendant que M. de Grignan soit en état d’aller à Grignan, et puis, s’il se peut, à Paris. Il a été mené quatre ou cinq jours fort rudement de la colique et de la fièvre continue, avec deux redoublements par jour. Cette maladie allait beau train, si elle n’avait été arrêtée par les miracles ordinaires du quinquina ;