Mais parlons de votre affliction d’avoir perdu cet aimable ménage[1], qui a si bien célébré votre mérite en vers et en prose, tandis que vous avez si bien senti l’agrément de leur société. La douleur de cette séparation est aisée à comprendre ; M. de Chaulnes ne veut pas que nous croyions qu’il la partage avec vous ; il ne faut pas qu’un ambassadeur soit occupé d’autres choses que des affaires du roi son maître, qui, de son côté, prend Mons avec cent mille hommes d’une manière tout héroïque, allant partout, visitant tout, s’exposant trop. La politique du prince d’Orange, qui prenait tranquillement des mesures, avec les princes confédérés, pour le commencement du mois de mai, s’est trouvée un peu déconcertée de cette promptitude ; il menace de venir au secours de cette grande place ; un prisonnier le dit ainsi au roi, qui répondit froidement : Nous sommes ici pour l’attendre. Je vous délie d’imaginer une réponse plus parfaite et plus précise. Je crois donc, mon cher cousin, qu’en vous mandant encore dans quatre jours cette belle conquête[2], votre Rome ne sera point fâchée de vivre paternellement avec son fils aîné. Dieu sait si notre ambassadeur soutiendra bien l’identité du plus grand roi du monde, comme dit M. de Nevers !
Revenons un peu terre à terre. Notre petit marquis de Grignan était allé à ce siège de Nice comme un aventurier, vago di fama. M. de Catinat lui a fait commander plusieurs jours la cavalerie, pour ne le pas laisser volontaire ; ce qui ne Ta pas empêché d’aller partout, d’essuyer tout le feu, qui fut fort vif d’abord, de porter des fascines au petit pas, car c’est le bel air ; mais quelles fascines ! toutes d’orangers, mon cousin, de lauriers-roses, de grenadiers ! ils ne craignaient que d’être trop parfumés. Jamais il ne s’est vu un si beau pays, ni si délicieux ; vous eu comprenez les délices par ceux d’Italie. Voilà ce que M. de Savoie a pris plaisir de perdre et de ruiner : dirons-nous que c’est un habile politique ? Nous attendons ce petit colonel[3], qui vient se préparer pour aller en Piémont, car cette expédition de Nice n’est que peloter en attendant partie ; il ne sera plus ici quand vous y passerez ; mais savez-vous qui vous y trouverez ? mon fils, qui vient passer l’été avec nous, et qui vient au-devant de son gouverneur sur les pas de sa mère.