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LETTRES

tenant de la plus grande affaire qui soit à la cour. Votre imagination va tout droit à de nouvelles entreprises ; vous croyez que le roi, non content de Mons et de Nice, veut encore le siège de Namur : point du tout ; c’est une chose qui a donné plus de peine à Sa Majesté et qui lui a coûté plus de temps que ses dernières conquêtes ; c’est la défaite des fontanges à plate couture : plus de coiffures élevées jusques aux nues, plus de casques, plus de rayons, plus de bourgognes, plus de jardinières : les princesses ont paru de trois quartiers moins hautes qu’à l’ordinaire ; on fait usage de ses cheveux, comme on faisait il y a dix ans. Ce changement a fait un bruit et un désordre à Versailles qu’on ne saurait vous représenter. Chacun raisonnait à fond sur cette matière, et c’était l’affaire de tout le monde. On nous assure que M. de Langlée a fait un traité sur ce changement pour envoyer dans les provinces : dès que nous l’aurons, monsieur, nous ne manquerons pas de vous l’envoyer ; et cependant je baise très-humblement les mains de Votre Excellence.

Vous aurez la bonté d’excuser si ce que j’ajoute ici n’est pas écrit d’une main aussi ferme qu’auparavant : ma lettre était cachetée, et je l’ouvre pour vous dire que nous sortons de table, où, avec trois Bretons de votre connaissance, MM. du Cambout, de Trévigni et du Guesclin, nous avons bu à votre santé en vin blanc, le plus excellent et le plus frais qu’on puisse boire ; madame de Grignan a commencé, les autres ont suivi : la Bretagne a fait son devoir ; à la santé de M. l’ambassadeur, à la santé de madame la duchesse de Chaulnes ! tope à notre cher gouverneur, tope à la grande gouvernante ! Monsieur, je vous fais raison. Enfin, tant a été procédé, que nous l’avons portée à M. de Coulanges ; c’est à lui de répondre.


309. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À M. DE COULANGES.

À Grignan, le 26 juillet 1691

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Je suis tellement éperdue de la nouvelle de la mort très-subite de M. de Louvois, que je ne sais par où commencer pour vous en parler. Le voilà donc mort, ce grand ministre, cet homme si considérable, qui tenait une si grande place ; dont le moi, comme dit M. Nicole, était si étendu ; qui était le centre de tant de choses ! Que d’affaires, que de desseins, que de projets, que de secrets, que d’intérêts à démêler, que de guerres commencées, que d’intrigues,