Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/84

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fille de feu Monsieur[1], Mademoiselle, petite-fille de Henri IV, mademoiselle d’Eu, mademoiselle de Dombes, mademoiselle de Montpensier, mademoiselle d’Orléans, Mademoiselle, cousine germaine du roi ; Mademoiselle, destinée au trône ; Mademoiselle, le seul parti de France qui fût digne de Monsieur. Voilà un beau sujet de discourir. Si vous criez, si vous êtes hors de vous-mêmes, si vous dites que nous avons menti, que cela est faux, qu’on se moque de vous, que voilà une belle raillerie, que cela est bien fade à imaginer ; si enfin vous nous dites des injures, nous trouverons que vous avez raison ; nous en avons fait autant que vous. Adieu ; les lettres qui seront portées par cet ordinaire vous feront voir si nous disons vrai ou non.


21. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À M. DE COULANGES.

À Paris, vendredi 19 décembre 1670.

Ce qui s’appelle tomber du haut des nues, c’est ce qui arriva hier au soir aux Tuileries ; mais il faut reprendre les choses de plus loin. Vous en êtes à la joie, aux transports, aux ravissements de la princesse et de son bienheureux amant. Ce fut donc lundi que la chose fut déclarée, comme je vous l’ai mandé. Le mardi se passa à parler, à s’étonner, à complimenter ; le mercredi, Mademoiselle fit une donation à M. de Lauzun, avec dessein de lui donner les titres, les noms et les ornements nécessaires pour être nommé dans le contrat de mariage qui fut fait le même jour. Elle lui donna donc, en attendant mieux, quatre duchés : le premier, c’est le comté d’Eu, qui est la première pairie de France et qui donne le premier rang ; le duché de Montpensier, dont il porta hier le nom toute la journée ; le duché de Saint-Fargeau, le duché de Châtellerault : tout cela estimé vingt-deux millions. Le contrat fut dressé ensuite, où il prit le nom de Montpensier. Le jeudi matin, qui était hier, Mademoiselle espéra que le roi signerait le contrat, comme il l’avait dit ; mais, sur les sept heures du soir, la reine, Monsieur et plusieurs barbons firent entendre à Sa Majesté que cette affaire faisait tort à sa réputation ; en sorte qu’après avoir fait venir Mademoiselle et M. de Lauzun, le roi leur déclara, devant M. le Prince, qu’il leur défendait absolument de songer à ce mariage. M. de Lauzun reçut cet ordre avec tout le respect, toute la soumission, toute la fermeté et tout le désespoir que méritait une si grande chute.

  1. Gaston de France, duc d’Orléans, frère de louis XIII.