Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/92

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de celles qui me tourmentent le plus. Vous allez toujours, et enfin, comme vous dites, vous vous trouverez à deux cents lieues de moi ; alors, ne pouvant plus souffrir les injustices sans en faire à mon tour, je me mettrai à m’éloigner aussi de mon côté, et j’en ferai tant, que je me trouverai à trois cents : ce sera une belle distance, et ce sera aussi une chose digne de mon amitié, que d’entreprendre de traverser la France pour vous aller trouver. Je suis touchée du retour de vos cœurs entre le coadjuteur et vous : vous savez combien j’ai toujours trouvé que cela était nécessaire au bonheur de votre vie ; conservez bien ce trésor ; vous êtes vous-même charmée de sa bonté, faites-lui voir que vous n’êtes pas ingrate. Je finirai tantôt ma lettre. Peut-être qu’à Lyon vous serez si étourdie de tous les honneurs qu’on vous y fera, que vous n’aurez pas le temps de lire tout ceci ; ayez au moins celui de me mander toujours de vos nouvelles, comme vous vous portez, et votre aimable visage que j’aime tant, et si vous vous embarquez sur ce diable de Rhône. Je crois que vous aurez M. de Marseille[1] à Lyon.

Mercredi au soir.

Je viens de recevoir tout présentement votre lettre de Nogent ; elle m’a été donnée par un fort honnête homme que j 'ai questionné tant que j’ai pu ; mais votre lettre vaut mieux que tout ce qui se peut dire. Il était bien juste, ma fille, que ce fût vous la première qui me fissiez rire, après m’avoir tant fait pleurer. Ce que vous me mandez de M. Busche est original, cela s’appelle des traits dans le style de l’éloquence ; j’en ai donc ri, je vous l’avoue ; et j’en serais honteuse, si, depuis huit jours, j’avais fait autre chose que pleurer. Hélas ! je le rencontrai dans la rue ce M. Busche, qui amenait vos chevaux : je l’arrêtai, et, tout en pleurs, je lui demandai son nom ; il me le dit ; je lui dis en sanglottant : M. Busche, je vous recommande ma fille, ne la versez point ; et, quand vous l’aurez menée heureusement à Lyon, venez me voir pour me dire de ses nouvelles ; je vous donnerai de quoi boire. Je le ferai assurément : ce que vous me mandez sur son sujet augmente beaucoup le respect que j’avais déjà pour lui. Mais vous ne vous portez point bien, vous n’avez point dormi ; le chocolat vous remettra : mais vous n’avez point de chocolatière, j’y ai pensé mille fois : comment ferez-vous ? Hélas ! mon enfant, vous ne vous trompez

  1. M. de Forbin-Janson, depuis cardinal.