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Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/108

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À KOLOMEA.

nent, un rouge-gorge va voletant d’un coin à l’autre, une fauvette en bas âge réclame sa nourriture. Une demi-douzaine de chiens unissent leurs aboiements aux gémissements d’un jeune renard qui pleure comme un enfant en nourrice, et l’étourneau croise un « prenez garde » avec cette romance sentimentale, modulée par la pie : « Mon repas est loin, mon cœur est lourd, » tandis qu’un corbeau énorme, accroupi, la tête dans les épaules, dans un angle obscur, fredonne d’une voix mystérieuse et sépulcrale, bien qu’enrouée : « Le soir, au coup de minuit, le tambour quitte sa tombe. » Au milieu de ce chaos, le lieutenant Holopherne, debout à son établi, une tourterelle sur l’épaule, un serpent noué en cravate autour du cou, est couché en joue par un écureuil courroucé.

Autant notre intrépide ami fut autrefois, comme soldat, prodigue de sa vie, autant il veille avec tendresse sur celle de ses animaux : non seulement, si l’un des siens vient à mourir, il l’enterre honorablement dans son jardinet et sème des fleurs sur sa tombe, mais s’il voit quelque chien errant traîné à l’abattoir, il verse des larmes amères.

Bien qu’il ne soit ni séduisant ni dans cet âge où, comme on le sait, le diable avait aussi sa beauté, Holopherne ne perd cependant jamais l’occasion de témoigner de son faible pour les femmes. Et soit que sa galanterie les émeuve, soit que leurs yeux scrutateurs démêlent plus facilement que les nôtres un brave cœur de soldat courageux et probe sous cette veste à fleurs et cette chemise grossière, Holopherne est plus que bien des jeunes gens en faveur auprès d’elles. Il porte environ soixante ans, et même davantage ; mais à l’aide d’une pommade qu’il fabrique lui-même et d’un cosmétique hongrois pour la